Stella 7
Stella intègre Léa dans les jeux sans avertir les autres enfants que la petite fille est sujette à des mouvements involontaires.


Côme retrouve sa fille pour la pause déjeuner et lui annonce qu’il lui préparera ses fameux spaghettis à la carbonara. Il est surtout très impatient de savoir comment s’est déroulée cette première matinée. Comme sa petite fille a été renvoyée de deux centres d’activités extrascolaires depuis septembre, sous prétexte qu’elle se montrait capricieuse, insolente, pleurnicheuse, voire violente, il est inquiet. Il avait eu beau expliquer qu’elle souffre d’un trouble sans doute neurologique, rien n’y avait fait : on lui avait répondu d’être plus ferme avec elle ou de lui trouver un centre spécialisé. Cela étant, aujourd’hui, il est ravi de constater que sa fille se montre plutôt enjouée, et qu’elle entreprend, sans qu’il n’ait besoin de lui poser trop de questions, de lui relater le programme de sa matinée. Elle lui raconte l’atelier dessin, que son prénom signifie lionne, puis qu’elle a choisi de s’installer dans le coin lecture près d’Ada, une grande de CM2 qui adore les livres encore plus qu’elle, qui lui a conseillé un ouvrage magnifique sur le monde des fées et des farfadets, ... Le débit de paroles de sa fille ne tarit pas jusqu’à leur arrivée à la maison. Elle fait une pause pour enlever ses bottes et son manteau puis reprend son récit, parfois un peu décousu, en le suivant dans la cuisine comme son ombre. Côme, qui connaît très bien sa fille, sent qu’elle ne lui dit cependant pas tout.
Surtout depuis que les symptômes étranges de Léa sont apparus, il est devenu encore plus proche d’elle qu’il ne l’était quand elle était toute petite. Avec Clémence, son épouse, il cherche tous les moyens d’aider leur fille. Aussi sait-il quand elle omet de lui raconter certaines choses. Généralement, elle cherche à dissimuler ou minimiser les épisodes d’agitation qui l’assaillent alors que ses parents ne sont pas présents. Côme et Clémence apprennent certains évènements seulement lorsque Léa les dévoile aux médecins lors des consultations destinées à établir enfin un diagnostic : la petite fille ne veut pas inquiéter ses parents outre mesure mais a compris qu’il faut être totalement honnête avec les spécialistes qui l’examinent. Côme est si fier de sa petite… En l’écoutant, il déplore qu’elle se soit un peu mise à l’écart, comme souvent, mais, si les livres l’apaisent et qu’elle s’est trouvée une amie lectrice, c’est un bon début.
L’heure tourne et Côme doit déjà ramener Léa au centre. Sa petite fille rechigne un peu, comme il s’y attendait, malgré son exposé d’une matinée agréable. Pour tenter de l’attendrir suffisamment dans le but de ne pas y retourner et, à la place, de l’accompagner à son bureau, elle le regarde avec des yeux suppliants de chaton abandonné. Mais il ne cède pas ! Malgré un petit pincement au cœur, il se dit que, si tout s’est si bien déroulé durant la première partie de la journée, il peut être confiant : il encourage donc sa petite princesse en la prenant par la main, avant de sortir dans le froid hivernal.
Léa est accueillie par Stella qui, à l’entrée, compte les enfants au fur et à mesure de leur arrivée pour vérifier que tout le monde est bien là. La petite fille aime vraiment beaucoup cette animatrice : elle ressemble à l’une des fées du livre qu’elle a lu ce matin, et elle semble sincèrement gentille. Au milieu d’une vague d’enfants plus ou moins excités, elle se rend aux vestiaires pour enlever son manteau et son écharpe que Lisa l’aide à suspendre convenablement à un crochet un peu haut pour elle. Elle suit ensuite le petit groupe dans la salle d’activités. Stella annonce le programme de l’après-midi : jeux de société, dessin pour celles et ceux qui ont besoin de terminer leur chef-d’œuvre animalier du matin, goûter, puis lecture de conte. Léa remarque qu’Ada retourne directement s’asseoir dans le coin lecture. S’apprêtant à suivre sa camarade pour se mettre à l’abri entre les pages d’un livre, elle est appelée par Stella qui lui demande si elle ne veut vraiment pas faire une partie de cartes avec Lisa et quelques-uns de ses amis. Lisa et Esther viennent insister en lui disant qu’elles ont vraiment besoin d’un joueur de plus à leur table. Après quelques supplications et encouragements, Léa se laisse convaincre et suit ses camarades pour entamer une partie de Doodle. Ses voisines de table se montrent très gentilles avec elle et lui présentent Léanne et Romain, leurs partenaires de jeu. En s’asseyant près d’elle, Esther lui chuchote à l’oreille que Romain et Léanne sont « amoureux » et part d’un petit rire cristallin en regardant ses deux camarades : Léanne rougit et Romain bredouille que la partie a commencé et qu’il faut se concentrer en arrêtant de dire des bêtises. Léa est finalement heureuse d’avoir accepté de jouer : elle est attablée normalement avec des camarades qui sont venus la chercher, on lui fait des confidences comme entre copines normales… Elle se sent normale. Elle s’engage donc dans la partie parfois interrompue par quelques bavardages et fous rires sans aucun rapport avec les cartes ni les symboles à mémoriser. Tout se passe très bien.
Puis, soudain, sans que rien ne l’ait laissé prévoir, Léa sent son visage se crisper en cette horrible grimace qui lui fronce le nez et les yeux alors que ses épaules entrent dans une danse absurde et saccadée. D’abord surpris, ses camarades cessent de jouer, la regardent, puis ils se mettent à rire sans conviction, un peu gênés par ce comportement inattendu. Lisa lui demande si tout va bien. Et là ! Le drame ! Son bras droit se jette sur le côté, ce qui a pour effet de propulser les cartes qu’elle tenait dans sa main à travers la pièce. Comme de gros confettis, elles retombent sur ses camarades, la table et le sol. Lisa et ses amis sont sidérés. Charles, assis à la table voisine, explose de rire de conserve avec son acolyte Théo, et braille « Madame Grimace a encore voulu bombarder quelqu’un ! » Léa est mortifiée. Elle baisse la tête et serre les bras contre sa poitrine comme pour les empêcher de bouger. Alors qu’elle retient ses larmes, elle entend Stella hausser la voix pour demander aux moqueurs de cesser leurs insultes et leurs railleries immédiatement. Puis l’animatrice s’approche d’elle et lui demande si elle va bien. Léa commence à pleurer en ânonnant qu’elle n’a pas fait exprès et qu’elle s’excuse. Stella lui dit qu’elle va l’aider à ramasser ce qu’elle a jeté et que ce n’est pas grave, puis elle l’engage à se lever pour aller glaner les cartes avec elle. C’est le moment que choisit Romain pour annoncer qu’il ne veut plus jouer avec elle si c’est pour qu’elle soit mauvaise perdante comme ça. C’en est trop pour Léa qui ne peut plus retenir ses larmes. Comment leur expliquer qu’elle ne fait pas exprès ? Elle s’amusait si bien… En reniflant, elle entame son ramassage, accompagnée de Stella qui tente d’imposer le silence en intimant au groupe de passer à autre chose, et de reprendre ses jeux. Stella essaye également de la calmer mais elle doit gérer tout le groupe qui s’agite et devient tonitruant, chacun et chacune essayant de parler plus fort que l’autre. Comme Léanne grommelle que, si Romain veut changer de jeux (et donc de partenaire…), elle ira avec lui, Léa se retrouve devant une table dont la moitié des joueurs est partie à cause d’elle. Son visage recommence à grimacer… Plusieurs enfants se remettent à rire et Charles l’imite en ricanant et gigotant comme un chimpanzé.
Il est temps pour elle de fuir. Même le coin lecture ne saurait la mettre à l’abri. Léa pose les cartes qu’elle a récupérées ici et là avant de courir dans le couloir en quête d’une cachette. Les toilettes des filles se trouvent non loin. Elle s’y précipite et s’enferme dans l’une des deux cabines. Assise par terre, elle donne libre cours à ses larmes. Elle pensait pourtant que tout se passerait bien cette fois-ci…