Stella 5
Stella décide d’aller chercher Léa pour lui réexpliquer les règles à respecter.


Stella est d’un naturel enjoué et conciliant mais, après la scène à laquelle elle vient d’assister, elle ne peut s’empêcher de ressentir un certain agacement. S’il y a une chose qu’elle ne supporte pas, c’est le manque de respect et la violence ! Donc, cela fait deux choses qu’elle ne supporte pas, mais alors, vraiment pas ! Léa est partie en chignant sans même avoir ramassé les cartes qu’elle a jetées brusquement. Et elle a manqué de donner un coup dans le visage de Lisa ! C’est incompréhensible et intolérable tout à la fois ! La petite lui semblait tellement sage et introvertie, presque trop d’ailleurs, à son arrivée... Quoiqu’il en soit, il lui faut apaiser au plus vite les esprits de sa petite troupe qui s’échauffe entre récriminations, moqueries et stupéfaction envers le comportement de « la nouvelle. » Elle parvient à imposer le silence et demande à ses protégés de ranger la salle dans le calme pendant qu’elle part à la recherche de Léa. Nathalie est à l’accueil, et Aurélien, dans la salle d’à côté : ils savent où s’adresser en cas de besoin.
Une fois dans le couloir, Stella réfléchit à l’endroit idéal pour aller se cacher en pleurnichant quand on est une petite fille : Les toilettes, bien sûr ! Elle-même l’a fait à maintes reprises durant son adolescence… Léa se trouve certainement dans les toilettes pour filles. La jeune femme entre dans la pièce carrelée qui possède deux cabines en appelant Léa. Elle marche lentement devant la première cabine, et pousse la porte qui s’ouvre sur des toilettes vides. Elle se donne l’impression d’être une policière à la recherche d’un fugitif, comme dans les films, lorsque le suspect est « planqué » dans les commodités d’un immeuble. Elle pousse la porte de la seconde cabine qui résiste. Aussi appelle-t-elle : « Léa ? C’est bien toi qui es cachée, là-dedans ? » Et elle se penche pour regarder à travers le jour situé entre la porte et le sol. Elle aperçoit le bas du corps de la petite fille assise par terre, les bras serrés autour des jambes. « Léa ?! S’il te plaît, ouvre, maintenant ! Il faut que l’on parle un peu toutes les deux. Je voudrais que tu m’expliques pourquoi tu as jeté tes cartes ainsi. Allez ! Ouvre-moi ! » Elle entend la petite fille renifler, dérouler du papier toilette, se moucher, puis ouvrir le loquet. Stella pousse doucement la porte, et engage Léa à sortir de la cabine. Stella prend une voix douce mais ferme : « Il faut que tu contrôles ta mauvaise humeur, tu sais : on ne jette pas les objets ainsi, même si nos cartes ne nous plaisent pas, ou si on est contrarié par quelqu’un d’autre. En outre, quand je te demande de ramasser ce que tu fais tomber, j’aimerais que tu le fasses. Ce sont des règles importantes à respecter afin de pouvoir toutes et tous passer de bons moments ensemble dans le respect des uns et des autres. Je sais qu’il n’est pas facile d’intégrer un nouveau groupe en cours d’année mais ce n’est pas avec ce comportement que tu pourras te faire des amis, tu sais. Peux-tu m’expliquer ce qui t’a prise ? Un de tes camarades a dit quelque chose qui t’a blessée ? Tu peux me le dire... » Face à elle, Léa reste tête baissée et lui murmure qu’elle est désolée et qu’elle n’a pas fait exprès. Stella s’agace un peu : « Tu n’as pas fait exprès ? Mais je t’ai vue, Léa ! Et Lisa, qui t’avait défendue ce matin, est particulièrement déçue : tu as failli lui donner un coup dans le nez tout de même ! Tu ne veux vraiment pas m’expliquer ? » Devant le silence et les larmes de la petite fille, Stella renonce. Elle soupire : « Alors, si tu n’as rien d’autre à ajouter, j’aimerais que tu te calmes, que tu respires profondément… Voilà… Tu vas aussi rafraichir un peu ton visage… Voilà… Il va être l’heure de retrouver ton père pour le déjeuner, cela va te laisser un peu de temps pour réfléchir à ton comportement. Tu peux me parler, tu sais. Mais si tu ne veux rien me dire, je ne pourrai pas t’aider. Cet après-midi, je compte sur toi pour respecter les règles, tes camarades et moi-même. D’accord ? Si je suis ferme, c’est pour mettre les choses au point afin que ce soit la première et la dernière fois que je suis obligée de te disputer. Je déteste faire cela, crois-moi. Cela étant, comme tu as tout de même failli faire mal à Lisa, je te préviens que si je constate à nouveau le moins signe de violence, je devrai en parler à tes parents. Je suis certaine que tu comprends. » L’animatrice aide Léa à se mettre de l’eau fraiche sur son visage aux joues rougies d’avoir pleuré puis l’emmène dans le couloir rejoindre les autres.
Il est déjà midi et les autres enfants sont en train de s’emmitoufler dans leurs blousons, manteaux, écharpes et bonnets pour affronter le froid de la fin du mois. Elle regarde Léa se diriger vers ses affaires, s’habiller chaudement et rejoindre son père. Elle a en horreur de gronder les enfants et s’en veut un peu de son emportement envers cette petite fille qu’elle ne comprend pas. L’enfant n’a rien voulu dire d’autre que « Je n’ai pas fait exprès… » en pleurnichant. Son comportement totalement ambivalent la rend perplexe. Quelque chose la chiffonne : soit Léa est une sacrée manipulatrice capricieuse qui va chigner quand elle fait une bêtise pour éviter d’être punie, soit elle est sincère lorsqu’elle dit ne pas être responsable, et, dans ce cas, elle souffre d’un problème que Stella est incapable de reconnaître. Quoiqu’il en soit, elle a été ferme et, si d’autres incidents se produisent, il faudra qu’elle garde cette ligne de conduite et tente de parler au directeur et aux parents.
Léa retrouve son papa avec soulagement : pendant deux heures, elle sera avec lui, loin de ces autres enfants moqueurs et de Stella. Elle avait vraiment eu espoir que la jolie jeune femme serait gentille avec elle. Et puis… bien sûr, comme elle s’était mise à avoir ses tics dans le visage et que ses bras s’étaient écartés ou levés sans qu’elle le veuille, elle s’était fait réprimander et Stella était devenue méchante avec elle. Durant la préparation puis la dégustation des spaghettis carbonara du déjeuner, son cher papa lui demande comment s’est déroulé la matinée et si elle s’est fait des amis. Elle répond de manière évasive, elle ne donne pas de prénoms et, surtout ne dit rien de ses agissements malencontreux. Après avoir avalé son dessert, elle supplie son père de la laisser venir avec lui à son travail en lui promettant qu’elle sera bien sage et qu’elle se contrôlera. Mais rien n’y fait et, malgré sa mine maussade, son père la ramène au centre où attend, à la porte, Stella qui compte les enfants au fur et à mesure de leur arrivée. Léa est la dernière et traîne en au-revoir interminables.
Avec un soupir, son père desserre l’étreinte de ses petits bras, et part en lui faisait un dernier signe de la main. Léa entend Stella l’appeler afin qu’elle vienne au chaud et rejoigne le groupe. Lorsqu’elle se retourne en marmottant pour elle-même qu’elle n’a pas envie d’y aller, elle voit que Stella lui sourit en lui tendant la main. Léa ne croit pas à l’attitude amicale de son animatrice, et se laisse conduire avec réticence.
Comme le temps vire au vent et à la pluie, les activités d’extérieur sont annulées au profit d’un après-midi plus calme partagé entre toutes les activités du matin et, en fin d’après-midi, la lecture d’un conte. Bien sûr, Léa refuse de jouer aux cartes ou de reprendre son dessin… d’autant plus que Charles et Théo ricanent en disant qu’il faudra faire attention de ne pas « se faire bombarder par Madame Grimace. » Léa ne répond pas et préfère aller s’asseoir, muette, dans le coin lecture, pour se plonger dans un livre sur les gnomes et les lutins. Elle est surprise d’entendre Stella reprendre les deux garçons en les sermonnant sur les insultes et les railleries. L’animatrice termine en ajoutant que les règles sont les mêmes pour tout le monde, et que, -se tournant vers Léa- si on ne jette pas les objets, -se tournant vers les deux garnements- on n’insulte pas ses camarades. Léa est bien contente que les deux moqueurs soient grondés mais se sent fustigée par le fait que Stella ait rappelé devant tout le monde ses bêtises involontaires de la matinée. Elle se dit qu’elle sera très bien, dans son coin, à lire tranquillement près d’Ada, la jeune fille très discrète qu’elle n’avait même pas remarquée durant la matinée. Celle-ci lui affirme avec sympathie qu’elle a fait un très bon choix de lecture avec cet ouvrage sur les farfadets.
Malgré quelques crispations non maîtrisées du visage, ce début d’après-midi se déroule bien. Léa est contente de s’être retirée à l’écart : Ada ne prête aucune attention à ses mimiques incontrôlées, sans pour autant l’ignorer. Elle connaît tous les livres de la petite « bibliothèque pour tous » du centre et lui en conseille quelques-uns qu’elle a aimés sur le thème féérique. L’heure du goûter étant arrivé, elle et sa nouvelle connaissance sont invitées à rejoindre les autres autour des tables : une mousse au chocolat est au menu. Léa s’assoit le plus discrètement possible en bout de table, près d’Ada. Les mousses sont distribuées dans la plus grande cacophonie. Stella apporte également les cuillers qui sont rapidement distribuées par les gourmands. Léa se sent stressée par la présence des autres et doit se concentrer d’autant plus fort sur son attitude. Mais subitement, son bras s’agite, se lance vers le haut, sa main lâche la cuiller qui vole à travers la pièce telle un missile miniature, pour finir sa course contre un mur, avant de tomber sur le sol. A son grand dam, c’est, encore une fois, une explosion de rires. Léa se lève pour aller ramasser sa cuiller sous les huées et le regard sévère de Stella. Elle se met à sangloter et marmonner qu’elle n’a pas fait exprès. C’est une catastrophe. Stella lui demande de s’excuser de sa bêtise tout en demandant le silence et le calme. La petite s’exécute et demande pardon. Son visage se contracte et, malgré elle, malgré toute sa volonté, elle grimace. Stella lui demande alors d’aller réfléchir à son comportement à l’écart et de montrer un peu de respect.
Tandis que les autres enfants continuent leurs bavardages autour de la table, Stella l’accompagne dans le coin lecture. Léa renifle, essaye de contenir ses larmes et garde la tête baissée. Elle a tellement honte de faire tout cela, et, surtout, de ne pas parvenir à se contrôler. Stella s’assoit à ses côtés et, radoucie, lui demande à nouveau de s’expliquer. Elle semble sincèrement vouloir comprendre son comportement. Toutefois, Léa ne lui fait pas confiance et craint de se faire encore plus disputer ou traiter de menteuse si elle raconte que c’est incontrôlable, comme un éternuement : presque personne ne la croit quand elle raconte ce qu’elle vit. Elle préfère donc se murer dans le silence en tentant de retenir ses larmes. Stella tente le ton cajoleur, une main dans son dos, en lui disant qu’elle comprend que cela peut être compliqué de changer d’endroit en cours d’année, de ne plus avoir ses amis près de soi, de perdre ses repères… Léa connaît ces techniques pour la faire avouer des choses qu’elle n’a pas faites ou voulues faire. Elle marmonne que cela n’a rien à voir et qu’elle n’avait de toute façon pas d’amis là où elle était inscrite avant. « Vous ne pouvez pas comprendre… Je ne fais pas exprès, c’est tout. » Puis, elle reprend le livre qu’elle avait commencé avant ce nouvel épisode malheureux et se tait. Elle a hâte que cette journée se termine enfin, et est très impatiente de retrouver enfin sa famille.