Stella 4
Stella décide d’aller chercher Léa pour lui donner une chance de rejoindre le groupe.


Stella reste consternée par la scène à laquelle elle vient d’assister. Cette petite Léa lui semblait pourtant si timide et réservée... D’après ce qu’elle apprend des autres enfants à qui elle demande de lui raconter précisément tout ce qui s’est déroulé durant le jeu, tout a commencé lorsque Léa a fait des grimaces aux autres. Cela a tout d’abord amusé le petit groupe qui, comme l’animatrice l’avait remarqué en souriant de leurs singeries, s’était livré à un concours de leurs plus horribles tirages de langues et autres loucheries. Ensuite, comme elle en a été également témoin, la petite avait lancé ses cartes en l’air, et, enfin, avait manqué de frapper sa voisine. Comme si la petite était honteuse de ses actes, elle s’était enfuie dans le couloir sans même avoir ramassé les cartes éparpillées au sol. Stella est atterrée et ne parvient pas à comprendre la logique de ce comportement. Mais, chaque chose en son temps : il lui faut, en premier lieu, remettre de l’ordre au sein du groupe d’enfants qui piaillent de plus en plus fort ; ensuite, elle ira à la recherche de Léa afin de discuter avec elle à l’écart. Les enfants ne cessent de crier, de plaisanter sur la folle qui vient d’arriver parmi eux et de s’agiter. Elle doit hausser la voix pour imposer le calme et demande à chacun de commencer à remettre de l’ordre dans la salle car il sera bientôt l’heure de retrouver les parents pour le déjeuner. Elle leur demande de ranger les jeux, les perles et les livres sans se disputer, et sans dire du mal de leur nouvelle camarade. Durant l’après-midi, il sera sans doute nécessaire de faire une petite mise au point collective. La jeune femme ne peut se départir du sentiment que quelque chose ne colle pas dans tout cela : il y a une telle différence entre la petite fille timide et celle qui, dans un mouvement d’humeur incompréhensible, se met à jeter ses cartes. Bien sûr, Stella se demande si la petite n’est pas tout simplement une mauvaise perdante, ou une capricieuse particulièrement difficile peut-être... Néanmoins, elle reste certaine que quelque chose ne va pas ; le fait de ne pas parvenir à mettre le doigt dessus la préoccupe. Une fois le calme revenu, elle part à la recherche de Léa. Elle subodore que l’enfant est allée se réfugier dans les toilettes : le lieu par excellence où aller pleurer ou bouder !
Enfermée dans l’une des deux cabines de toilettes des filles, Léa pleure toujours, renifle et a déjà utilisé une bonne partie du papier toilette disponible pour se moucher et essuyer ses joues inondées de larmes. Elle entend Stella l’appeler dans le couloir. La voix de l’animatrice se rapproche lorsque celle-ci entre dans les toilettes des filles. Essayant de se faire la plus discrète possible, Léa serre ses bras autour de ses jambes et tente de retenir ses sanglots. En vain. Si elle se doutait que sa piètre cachette serait rapidement découverte, elle espérait, comme l’on espère à cet âge, qu’elle parviendrait à se faire oublier ou, du moins, à passer inaperçue pendant plus longtemps. Sous le jour situé entre la porte et le sol, elle aperçoit les bottines de Stella s’arrêter devant la cabine, puis un bout de queue de cheval rousse frôler le sol, et, enfin, le front et les yeux de la jeune femme qui la regarde. « Léa, tu veux bien m’ouvrir s’il te plaît ? Tu ne peux pas rester à pleurer comme ça toute seule ici. Je voudrais comprendre ce qu’il vient de se passer. Allez… Ouvre-moi, ce n’est pas très confortable de parler la tête en bas, tu sais. » Léa sent le sourire dans la voix de la jeune femme ce qui la rassure un peu : elle semble douce et patiente. Léa renifle encore, se mouche à nouveau, puis se relève péniblement afin de déverrouiller la porte.
Elle s’avance à petits pas hors de la cabine pour rejoindre Stella près des lavabos. Elle se sent tellement honteuse. Son visage se crispe trois fois en lui faisant froncer le nez et fermer les yeux, ce qui pourrait donner l’impression qu’elle adresse des singeries insolentes à l’animatrice. Ça recommence. Elle est persuadée que la jeune femme va l’accuser d’être irrespectueuse et la gronder d’oser lui faire des grimaces après la scène de tantôt. Elle dit alors très vite : « Je n’ai pas fait exprès ! Je vous jure ! Je n’ai pas fait exprès… » puis elle se remet à pleurer à gros sanglots. La jeune animatrice s’accroupit pour se mettre à sa hauteur, et lui tend un mouchoir en papier en disant de se calmer, puis d’essayer de lui expliquer le pourquoi de ces grimaces et de ces projectiles. La petite fille se sent tranquillisée par le fait que Stella ne semble pas vouloir la gronder. Pas encore, en tout cas, elle se méfie des maîtres ou animateurs depuis que ses problèmes ont commencé. Après s’être essuyé le visage et mouchée encore une fois, elle serre le morceau de papier imbibé de larmes dans sa main, très fort, et inspire pour se donner du courage. « Je suis désolée, je ne fais pas exprès. Je vous jure… Ca m’arrive tout le temps, de plus en plus souvent même. Avant, c’était juste une fois de temps en temps : je faisais une grimace ou je jetais ma fourchette pendant le dîner. Je me faisais un peu gronder car mes parents ne comprenaient pas que je ne faisais pas exprès. Moi non plus, je ne comprends pas pourquoi je fais ça. » Elle renifle un peu, se mouche, se frotte les yeux puis reprend : « Maintenant, ça m’arrive au moins une fois par semaine. J’ai été renvoyée de deux autres accueils de loisirs. Les animateurs ont dit à mes parents que j’étais méchante et dissipée. Mais je ne fais pas exprès. Moi, j’aimerais bien jouer avec les autres normalement, mais, tout à coup mon bras part sur le côté et je jette les choses que j’ai dans la main. Je ne voulais pas taper Lisa… Je suis désolée… » Elle se remet à pleurer.
Stella est déboussolée par cette petite fille qui se montre si vulnérable. Elle essaye donc de continuer à la faire parler afin de savoir comment cela se passe à l’école, dans sa famille, si elle a vu un docteur peut-être… Elle tente de se montrer la plus douce possible car elle sent que la petite est totalement perdue et, surtout très apeurée par les conséquences de cette première matinée compliquée. Entre deux sanglots, elle apprend que Léa a déjà dû changer d’école une fois l’an passé car son comportement était jugé inapproprié et gênait la classe. En revanche, d’après la petite fille – et c’est ce que la jeune femme avait pu constater lors de la scène des au-revoir entre Léa et son père le matin-même -, sa famille est très attentionnée et aimante. Après deux ans difficiles durant lesquels ils étaient perplexes et avaient tendance à disputer leur enfant, ils ont fini par l’écouter et ont pris la décision de la croire et de l’aider. Entre quelques larmes supplémentaires à l’évocation de mauvais souvenirs et l’utilisation de quelques mouchoirs supplémentaires, Léa raconte également que ses parents l’ont emmenée voir « un docteur qui fait un peu peur et lui a posé plein de questions avant de lui faire faire des tests dans des machines aux bruits très forts. » Stella comprend que Léa a sans doute passé un examen d’imaginerie médicale, une IRM, ce qui doit être très impressionnant pour une petite de 8 ans. Docile face à ses questions, comme soulagée de se confier à un adulte qui s’intéresse à sa détresse, Léa lui explique qu’elle ne peut rien contre ses grimaces et ses mouvements brusques. La petite utilise alors une analogie qui permet à Stella de mieux appréhender ce qu’elle doit vivre : « C’est comme lorsque l’on a envie d’éternuer, je suis obligée de le faire, ça vient tout seul. » Stella prend la petite fille par les épaules, lui relève un peu le menton, et, la regardant bien dans les yeux, lui dit alors d’un ton très sérieux : « Écoute Léa, j’ai bien compris que tu ne voulais ni jeter des feutres sur ta camarade, ni lancer tes cartes, ni manquer de respect à personne… Tu as un souci que tu ne maîtrises pas mais nous allons essayer ensemble d’empêcher qu’il ne devienne pas un problème ici. D’accord ? Si ça se reproduit, je serai là et veillerai à ce que les autres enfants ne se moquent pas de toi ni ne te mettent à l’écart. Je pense que tu es sincère quand tu dis que tu ne fais pas exprès, ne t’inquiète pas pour ça, ma chérie. Nous trouverons une solution pour que tout se passe bien, c’est promis. » Devant l’air contrit et soulagé tout à la fois de Léa, Stella se sent totalement désarmée. Si elle ne parvient pas réellement à comprendre de quoi souffre sa nouvelle protégée, il est évident que la petite fille se sent en détresse, et que ses parents prennent tout cela très au sérieux, preuve qu’elle dit la vérité. Stella a eu les larmes aux yeux lorsque Léa lui a avoué se sentir très seule, et craindre d’être à nouveau renvoyée ou de faire de la peine à ses parents. Avec douceur, la jeune femme repousse les cheveux de Léa collés à ses joues par les pleurs, lui passe un peu d’eau sur le visage et lui annonce en souriant qu’il va falloir qu’elles sortent de leur cachette car il est l’heure de retrouver son papa pour déjeuner. Elle constate avec soulagement que le visage de la petite s’illumine à l’évocation de son père et de ce moment en famille.
La jeune femme s’installe dans sa salle d’activité avec son déjeuner pour réfléchir seule à cette situation imprévue. Avec tout son professionnalisme et beaucoup de bienveillance, Stella se promet alors d’être très attentive à cette petite fille insolite et fragile. Tout en mordant dans son sandwich au fromage à belles dents, elle se demande si elle ne devrait pas parler de la petite à son directeur. Quoi qu’il en soit de cette matinée mouvementée, elle ressent une irrésistible envie de protéger la petite lionne.