Stella 14
Les autres enfants pensent que Stella va disputer Léa mais celle-ci tente en fait de dialoguer avec la petite fille


Stella ne sait plus où donner de la tête : Léa vient de partir en courant ; Lisa se dispute avec Romain ; Charles et Théo font les singes en se gaussant ; les autres font un boucan de tous les diablotins ! Elle s’apprête à suivre Léa tout en criant aux enfants de se calmer mais elle aperçoit Charles qui, sans doute pour bénéficier d’un public plus fourni, grimpe sur une chaise tout en continuant ses pitreries moqueuses. Le plus urgent est donc d’éviter une chute. Elle attrape donc le garnement pour le reposer au sol, puis frappe sur la table du plat de la main. Bien sûr, elle s’est fait mal mais, au moins, le silence est revenu instantanément. Pour finir de calmer les esprits et parvenir à reprendre le dessus sur la quinzaine d’enfants surexcités dont elle a la charge, elle leur annonce qu’elle va sortir de la pièce pour aller chercher leur camarade afin de lui réexpliquer les règles de conduite à avoir. Théo demande si Léa va se faire disputer étant donné qu’elle a fait une bêtise. Stella lui répond que si elle a fait exprès, si elle est mauvaise perdante ou si elle est insolente, effectivement, elle se fera gronder. En attendant son retour, elle ordonne d’un ton ferme que tout le monde reprenne ses activités dans le calme : elle entendra si le chahut recommence et devra prendre des mesures si c’est le cas.
Une fois dans le couloir, Stella s’appuie contre le mur et soupire. Elle est terriblement ennuyée par cette situation : elle est convaincue que la petite a un problème qu’elle ne maîtrise pas mais elle n’a reçu aucune information à ce sujet de la part de son directeur. Elle pense que, si une enfant souffrait d’une pathologie neurologique ou d’un handicap quelconque, elle aurait tout de même été mise au courant par son directeur. Pourtant, quelque chose ne va pas… Elle entreprend donc de trouver la petite fugitive afin de discuter avec elle. S’il faut la gronder, elle le fera mais, s’il faut l’accompagner parce qu’elle souffre de quelque chose, elle le fera tout autant. Où Léa a-t-elle pu se réfugier ? Nathalie, à l’accueil, ne l’a pas vue, c’est donc qu’elle est partie de l’autre côté du couloir… Les toilettes, bien sûr !
Léa pleure à chaudes larmes. Elle aimerait que son papa vienne la chercher immédiatement pour qu’elle puisse se réfugier dans ses bras. Alors qu’elle entame un nouveau rouleau de papier toilette pour se moucher, elle entend la voix de Stella l’appeler depuis le couloir. La petite fille se fige, tente de contenir ses sanglots et de se faire la plus silencieuse possible (ce qui est, elle le constate avec horreur, extrêmement difficile lorsque son nez coule et qu’il faut reprendre son souffle). Elle entend l’animatrice frapper à la porte de la cabine : « Léa, je t’entends… Allez, ouvre-moi. On va discuter un peu toutes les deux, d’accord ? Allez, ouvre cette porte et viens près de moi. En plus, j’ai des mouchoirs en papier tout doux. » Léa finit par se lever et ouvrir le loquet. A petits pas, elle sort de la cabine et s’approche de son animatrice, tête baissée, ses cheveux coupés au carré collés sur ses joues par les larmes. Stella lui lève le menton et, avec douceur, lui essuie le visage avec un mouchoir imbibé d’eau fraiche. Léa, qui s’attendait à des remontrances, se détend progressivement. Lorsque ses pleurs s’assèchent et que ses renifleries s’espacent, Stella lui demande : « Léa, j’aimerais comprendre ce qui vient de se passer. Je t’ai bien observée ce matin, pendant que tu lisais, et j’ai vu que tu avais fait le même genre de gestes brusques que ton jeté de cartes. Que se passe-t-il ? Si tu as un problème, je préfère le savoir pour pouvoir t’aider. Et si je ne me trompe pas et que tu souffres de quelque chose, je pense qu’il faudrait en parler à tes camarades pour leur expliquer et éviter des réactions négatives de leur part. »
Très étonnée de ne pas se faire gourmander, Léa décide de faire confiance à la jeune femme. Pour une fois, une adulte semble la croire lorsqu’elle dit ne pas faire exprès de jeter des choses… C’est si rare ! La petite fille tente alors d’expliquer à la jeune femme que c’est comme si son corps devenait quelqu’un d’autre et bougeait tout seul, qu’elle fait tout ce qu’elle peut pour se contrôler mais que c’est très difficile. Elle confie également que ses parents sont très inquiets et qu’ils l’emmènent voir beaucoup de médecins depuis presque deux ans. Enfin, Léa ajoute qu’elle doit bientôt aller faire des tests et que le problème se trouve sans doute dans son cerveau. Stella l’écoute attentivement et reste silencieuse pendant un instant. Elle semble réfléchir intensément à tout ce qu’elle vient de lui dire. Puis, l’animatrice se penche vers elle et lui demande si elle peut en parler aux autres enfants afin qu’ils ne se livrent pas à des moqueries ou d’autres paroles blessantes si une crise survient. La petite fille sent la panique l’envahir : elle ne veut surtout pas que les autres en sachent plus sur elle, d’autant plus qu’elle ne sait pas encore quelle est sa maladie. Elle a peur d’être encore plus rejetée. Heureusement, la jeune femme lui promet de ne rien dire si elle n’est pas d’accord. La petite fille est rassurée que Stella accepte et respecte son choix mais reste très anxieuse. Stella lui propose alors de quitter la salle sans demander la permission au cas où ses troubles surviennent à nouveau, pour être au calme, le temps que son corps s’apaise. Léa accepte mais elle sait que, souvent, lorsqu’elle sent qu’elle va grimacer ou gesticuler, il est déjà trop tard… Cette conversation la laisse dubitative et un peu apeurée, mais elle est heureuse de se savoir crue par son animatrice, et de constater que celle-ci souhaite l’aider même si elle semble un peu perdue.
Léa retourne donc dans la salle d’activités avec Stella. A peine entrées, elles entendent Charles s’écrier : « Alors, Léa, tu t’es fait disputer ? » Blessée, Léa baisse la tête tout en allant rejoindre le coin lecture, ayant reçu la bénédiction de Stella d’aller s’y réfugier dès qu’elle le souhaiterait. D’un ton sans appel, Stella reprend le garnement : « Ce qui s’est dit entre Léa et moi ne regarde que Léa et moi. C’est réglé. Est-ce bien compris ? Il n’y a pas à revenir sur ce qui s’est passé. On passe à autre chose. » Les enfants reprennent leurs jeux et leurs discussions. Léa peut reprendre la lecture de son livre sur le Petit Peuple de Faery. Elle adorerait que Stella soit réellement une fée et Ada une petite lutine gardienne de livres magiques. Alors qu’elle s’abandonne à sa rêverie en admirant les illustrations de l’ouvrage posé sur ses genoux, ses épaules recommencent à scander un rythme rocambolesque incontrôlable. Ada fait comme si de rien n’était, comme durant la matinée. Cependant, Léa sent que la petite fille lui jette de rapides coups d’œil, puis elle la voit s’avancer sur son fauteuil comme pour la masquer un peu aux yeux des autres. Léa fait tout son possible pour se calmer mais avant même d’avoir pu se lever pour sortir comme le lui a conseillé Stella, son bras se jette sur le côté. A nouveau, ce sont les livres de poche de la table basse qui font les frais des soubresauts de son corps. Certains enfants sont témoins de la scène et appellent leur animatrice du ton trainant de celles et ceux qui ont à se plaindre ou souhaitent dénoncer un camarade. Léa s’enfonce dans son fauteuil en se faisant toute petite tandis qu’Ada, toujours silencieuse, remet les livres en place avant de se rasseoir. Si tout le monde pouvait faire comme cette petite fille ! Mais non ! Les moqueries fusent à nouveau malgré le ton autoritaire de Stella qui demande le calme.
Stella se sent totalement démunie : il est rare qu’elle se sente dépassée mais l’atmosphère de ce milieu d’après-midi est infernale. Ce n’est pas Léa qui est ingérable, c’est le groupe d’enfants qui la prend pour cible. Pour le moment, la jeune femme tente de reprendre le dessus sur les jeunes qui crient, se moquent, en profitent pour se provoquer les uns les autres. Encore une fois, elle frappe du plat de la main sur une table du plus fort qu’elle peut. Elle pense douloureusement qu’elle aurait dû utiliser son autre main car celle-ci n’était pas encore remise de son rappel à l’ordre précédent. Avec fermeté, elle réclame – et obtient enfin – le retour au calme. Alors que ses ouailles reprennent leurs jeux et leurs conversations, Stella observe sa nouvelle protégée. Elle se demande comment faire pour l’intégrer. La laisser s’isoler dans le coin lecture n’est sans doute pas la solution. Bien sûr, il y a Ada, mais on ne peut pas dire que la petite lectrice soit un modèle d’intégration : depuis sa première inscription dans le centre de loisirs, trois ans auparavant, elle n’a presque rien fait d’autre que lire mis à part, rarement, participer à l’atelier perles, et elle ne parle presque jamais. La grande différence entre les deux enfants, c’est qu’Ada, elle, ne souffre pas de son isolement, il est totalement volontaire. Au contraire, Léa aimerait jouer avec les autres, Stella en est persuadée. Si elle se met à l’écart ainsi, elle ne parviendra jamais à trouver sa place dans le groupe. La jeune animatrice reconnaît qu’elle ne pourra gérer cette situation toute seule : il faudra qu’elle en parle aux parents de l’enfant et à son directeur.
scénario
Baptiste, Émile, Maël, Alix, Jawed, Élisa, Rose, Iléana
avec le soutien de
l’équipe pédagogique de la MJC Bazin Alice DEGROEVE, et Stéphanie MONTIFRET.
mise en texte
Apolline Marie HUIN
illustrations
Hugo DEGENEVE