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Moussa 6

Moussa ignore le couple

Moussa tente de se calmer. Il se concentre sur les paroles des chansons de R’n’B qui scande l’un de ses titres dans ses écouteurs. Il monte le son. L’humiliation qu’il a subie sur le terrain le hante. Malgré son envie d’aller se confronter aux deux jeunes gens, il ne se sent finalement pas la force d’aller leur dire ce qu’il pense. Le courage lui manque. Il se dit qu’il finira par devenir la risée de tous les passagers. Tout ce qu’il souhaite, c’est rentrer chez lui et essayer d’oublier cette horrible soirée. Il était tellement enthousiasmé par ce match ! Toute l’équipe l’attendait avec impatience. Ils étaient prêts à remporter la victoire. Et il a tout gâché car il s’est laissé distraire par des saloperies de supporters sans limite. Le monde du foot devient de plus en plus violent. C’était un sport qui unissait et qui rassemblait ! Le public était à fond dans les matchs et, même si l’équipe supportée ne gagnait pas, c’était la qualité du jeu et l’atmosphère fédératrice qui comptaient. C’était pour tout cela qu’il avait commencé à pratiquer ce sport. Pour participer à cette émulation collective et à la joie qu’elle suscitait, tant au sein des équipes que dans les gradins. A présent, il est presque normal de se faire insulter quand on est un sportif de couleur ou gay.


Enfin, Moussa regagne son appartement. Son colocataire, Arthur, est tranquillement installé dans leur petit salon en train de regarder un film tout en sirotant une bière. Le joueur de foot mortifié entre en claquant la porte. Il jette ses clefs dans le vide-poche. Celles-ci manquent leur cible et tombent au sol. Il les ramasse rageusement en grommelant que même ça il le rate ! Ignorant le salut de son ami, il entre dans la cuisine pour trouver quelque chose à manger dans le réfrigérateur. Il ne décolère pas. Arthur éteint la télévision et le rejoint dans la kitchenette. « Ouh là ! Ça ne va pas du tout, toi !? Qu’est-ce qui se passe ? Vous avez perdu le match ? » Moussa referme la porte du frigo sans avoir rien trouvé qui lui fasse envie et lui répond d’un ton brusque, le visage fermé : « J’ai été victime d’injures raciales et de lancers de bananes pendant mon corner. Et, en rentrant, dans le bus, il y avait deux pauvres jeunes à la con qui parlaient de moi ! Putain ! Mais c’est quoi ce monde de merde !? » Arthur le regarde, interloqué : « Attends, ralentis : je ne comprends rien. Que s’est-il passé exactement ? On t’a insulté et balancé des bananes sur le terrain ??? Et tu as croisé les mêmes connards dans le bus ? C’est ça ? » Le colocataire de Moussa lui sert une bière et lui demande de s’installer tranquillement dans le salon pour qu’il puisse tout lui expliquer.


« Bon, alors, détends-toi et explique-moi tout. La soirée semble avoir été éprouvante avec pas mal de rebondissements. Commence par le début. » Moussa soupire en s’adossant au dossier du le canapé. Il renverse la tête sur le dossier, remet ses idées en place avant de boire une gorgée de bière. Arthur est son colocataire depuis trois ans maintenant, mais ils se connaissent depuis une dizaine d’années ; ils s’entendent vraiment bien et le jeune étudiant est souvent de bons conseils. Posé, calme, il est totalement extérieur au monde du foot mais est très engagé dans la lutte contre les discriminations au sein de son université. Moussa sait qu’il peut se confier sans ambages et qu’il sera sans doute compris. Il se met donc à raconter : la cohésion de l’équipe avant le match, le premier but marqué grâce à lui et David, puis … les injures raciales, les bananes jetées sur le terrain, les cris de singe qui lui ont été adressés. Il explique son hésitation à sortir du terrain et sa décision de rester pour l’équipe. Puis la défaite. Sa culpabilité car il a laissé son mental dériver et les passes lui filer entre les jambes. Les remontrances dans les vestiaires et ses doutes quant aux convictions de ses coéquipiers. Sa colère. Son humiliation. Son retour dans le bus. Le couple soupçonné de propos racistes. Arthur écoute sans l’interrompre, avec sérieux. Quand Moussa semble enfin avoir vidé son sac, l’étudiant prend le temps de réfléchir au récit de son ami.


« Écoute, je pense qu’il y a deux choses importantes dans ce que tu racontes. Deux choses totalement différentes et qu’il faut que tu sépares bien dans ton raisonnement. D’une part, il y a les agissements racistes du public, ce qui est intolérable, on est bien d’accord. D’autre part, il y a ton ressentiment qui, s’il est légitime quant il est tourné contre ces énergumènes au comportement inexcusable, se tourne également contre tes coéquipiers, ton capitaine et des inconnus. Tu comprends ? Il y a ce qui est, d’un côté. Il y a ce que tu imagines et projettes sur les autres, de l’autre. Ta frustration et ta colère sont totalement justifiées mais pourquoi mettre en doute les convictions de tes amis de longue date et de personnes dont tu n’as même pas entendu la conversation ? Si tu mélanges tout, tes émotions vont te conduire à perdre des gens qui sont sans arrière-pensées et tu vas finir par te créer des problèmes dans l’espace public. Tu n’avais quand même pas réellement pensé à aller te confronter à ce couple dans le bus ? Ils parlaient peut-être tout à fait innocemment du match, en amoureux… et, peut-être, s’ils ont entendu les insultes proférées contre toi, ont-ils été choqués tout autant que toi. Il faut que tu te calmes. En outre, je pense que ce serait sans doute une bonne chose que tu reparles de tout cela avec ton capitaine d’équipe et peut-être avec l’arbitre ou la fédération, quelque chose comme ça… » Moussa, rongé par l’amertume, prend la mouche et croit comprendre qu’Arthur minimise la situation en minimisant ses sentiments.

Choix 1

Moussa se sent vexé par son ami blanc

Choix 2

Moussa, rongé par la colère, insulte son ami

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