Moussa 5
Une discussion s’engage entre les joueurs


Thibault tente d’apaiser son joueur qui tremble de colère en lui expliquant calmement son point de vue de chef d’équipe : « Mouss, reste cool, s’il te plaît. Reste assis et écoute-moi. Sur le terrain, je n’ai pas eu le temps de réfléchir à la situation : la foule s’agitait, l’arbitre s’impatientait et l’équipe se demandait ce qu’il se passait. Je n’avais que quelques minutes devant moi. Ce match comptait beaucoup pour tout le monde et j’ai pensé prendre la meilleure décision en le continuant. Si j’avais pu en débattre avec toute l’équipe, ça aurait peut-être été différent. En tant que représentant de tous les joueurs, j’ai pris cette décision et je l’assume. Maintenant, on peut parler de ce qui s’est produit, mais tranquillement, et voir comment gérer la situation si cela se reproduit. Mais en en parlant collectivement. C’est ça le foot : du collectif, pas des décisions individuelles prises sur le vif. » Voyant que Moussa regarde de côté en serrant de nouveau les poings, près à rebondir avec hargne sur les propos de son capitaine, ce dernier continue en haussant un peu la voix : « Oh ! Attends, là ! Ne recommence à t’emballer ! C’est mon point de vue, on va en parler, chacun son tour, et je vous engage d’ailleurs tous à dire ce que vous pensez. On pense collectif et on laisse parler tout le monde chacun son tour. Cela étant, on a perdu, et il faudra aussi parler de cela, mais après, le plus important c’est cet incident, » dit-il en englobant tous les joueurs dans un large geste de la main. Moussa, repoussant l’agressivité qui montait à nouveau en lui, défend toujours sa position en disant que lui aussi espérait la victoire, et que son but n’était aucunement de couler l’équipe. Mais il insiste aussi sur le fait que ce genre d’humiliations est très dur à encaisser et que, ce soir, ce fut la goutte d’eau qui l’avait fait déborder de révolte. Certains des joueurs récriminent derrière Moussa. Ils font remarquer qu’ils font tous beaucoup de sacrifices pour être dans cette équipe : entre le temps accordé aux entrainements, l’énergie décuplée à chaque match, leurs vies privées réduites à bien peu de chose car c’est l’équipe qui passe avant tout… L’un d’eux maugrée que, perdre à cause de l’un d’entre eux qui prend la mouche pour une plaisanterie de mauvais goût et quitte le terrain, c’est « dégueulasse pour tout le monde. »
Moussa se lève, se contenant difficilement, et se tourne vers les jeunes athlètes qui tiennent ce discours. Il est indigné. « Quoi ?? Pour la plupart, nous nous connaissons depuis plusieurs années, grâce au club. Est-ce que je n’ai pas toujours été présent à tous les entrainements ? Vous trouvez que je n’ai pas l’esprit d’équipe ? Sérieux ??? Je ne vous ai jamais laissé tomber, jamais. Pour une fois, vous pourriez vous mettre à ma place, non ? De ta part, Farid, je trouve ça dingue… Tu t’en prends dans la gueule aussi, non, des saloperies du même genre ? Si j’avais entendu qu’on t’insultait comme ça, j’aurais pris ton parti, tu le sais très bien. Après, de la part des Blancs de l’équipe, pffff… ça n’m’étonne finalement pas : vous pouvez pas comprendre ce qu’on vit quand on est Kebla ! Vous comprendrez jamais. Mais j’pensais quand même que l’esprit fédérateur de notre sport vous engagerait à défendre l’un des vôtres. Vous êtes ma deuxième famille, merde quoi !? »
Chacun écoute, marmonne, réagit en parlant à son voisin. L’équipe semble divisée. Cela n’est jamais arrivé. Comme certains ne semblent sincèrement pas avoir compris ce qui avait mis Moussa tellement en rage, le capitaine intime le silence et raconte dans le détail toute l’histoire. Thibault tient à ce que la situation soit clarifiée et que tous puissent s’exprimer : loin de prendre les choses à la légère, il souhaite apaiser la situation, fédérer à nouveau ses joueurs et surtout mettre au point une stratégie collective face aux agissements racistes dont il est question. Guillaume, le gardien de but, Farid et Jules, des défenseurs qui étaient à l’autre bout du terrain quand les singeries ont eu lieu, s’immiscent dans la conversation alors que leur capitaine essaye de donner la parole aux uns et aux autres à tour de rôle. Les trois amis avouent qu’ils n’avaient absolument rien vu de ce qu’il s’était passé et n’avaient donc absolument pas compris la réaction de leur coéquipier déserteur. David surenchérit en lui expliquant qu’il avait bien compris qu’il s’était passé quelque chose avec le public de l’équipe adverse, mais qu’il n’avait pas vu les projectiles ni entendu les insultes. « J’ai cru à un banal incident avec des supportes mécontents qui n’acceptaient pas le corner, remettait en question la décision de l’arbitre et donc notre but. Je te jure que je n’avais pas compris la gravité de la situation. Moi, j’étais fier d’avoir marqué, j’étais tout fou, je courais le t-shirt retourné sur le visage. Après, je regardais en direction de notre côté des gradins. C’est quand je me suis approché de toi pour partager ma joie que j’ai vu Thibault essayer de te calmer. Si j’avais vu tout ça, tu penses bien que je serais parti avec toi… » Moussa ne sait plus quoi penser et ne sait quels discours croire. Il s’agit de son équipe, de ses frères… mais il ne peut s’empêcher de se sentir trahi.