Moussa 4
Moussa ne se maîtrise plus et laisse éclater sa rancœur


Et de continuer : « Tu leur as donné raison en faisant comme si de rien n’était. Tu n’défends pas tes joueurs quand ils se font traiter de singes ? Tu trouves ça normal, c’est ça ? Ça veut dire que tu penses la même chose, hein ? Alors ? C’est ce que tu penses ? Je suis un singe ? OuhOuhOuh ! » Il se lève et s’approche tout près de son capitaine en imitant un orang-outan. Thibault se recule d’un pas tout en lui intimant de se calmer. Moussa, emporté par sa colère, se tourne vers tous ses coéquipiers, perplexes devant l’altercation : « Et vous ? Vous n’avez rien dit, rien fait !? Je pensais qu’il y en aurait eu au moins un ou deux pour me soutenir, mais que dalle ! Je sais pas moi… Tiens, Mouloud ? Tu es encore plus noir que moi, et ça te choque pas tout ça ? Mouloud, tu as tout vu, tu aurais pu me suivre : je pense que tu avais droit à ta banane parmi celles qui ont été lancées par ces saloperies de racistes. » Il prend à parti chaque joueur, fait de grands gestes, et respire de plus en plus fort. Il s’emballe, excédé, sans plus arrêter le flot de paroles qui s’échappent avec véhémence de sa bouche déformée par la révolte. « Je comprends pas que ni l’arbitre, ni toi, Thibault, ni l’autre chef d’équipe ne m’aient demandé si je voulais qu’on arrête le match. C’était moi qui étais visé et vous vous êtes tous détournés de moi ! Tous ! »
De plus en plus agressif, Moussa reporte son attention sur Thibault qui hausse le ton pour lui demander de se calmer. Plusieurs de ses coéquipiers tentent de lui attraper l’épaule ou le bras et lui disent qu’il faut absolument qu’il respire et s’assoit pour entamer une discussion en reprenant la maîtrise de lui-même. David tente de raisonner son ami en lui disant que crier ainsi ne résoudra rien et qu’il faut que chacun reprenne ses esprits. Moussa se dégage brutalement des gestes d’amitié ou d’apaisement des autres joueurs et, vociférant toujours, il se poste buste à buste contre son capitaine, le regarde de haut, les narines frémissantes, une moue hargneuse découvrant ses dents blanches au gré de ses propos de plus en plus violents. Il finit par empoigner le t-shirt de son chef d’équipe au niveau du torse alors que ce dernier relève les mains pour contenir l’attitude provocante de son joueur, puis le pousse brutalement. Thibault tombe sans pouvoir se retenir et se cogne les côtes sur le coin d’un banc. La douleur le fait grimacer. A terre, la main sur son flanc endolori, il relève le visage vers Moussa et lui lance : « De toute façon, j’aurais mieux fait de faire jouer Léo dès le début du match : il est fiable, lui au moins, et il sait se maîtriser. »
Cette riposte ne fait qu’envenimer l’humeur vindicative et brutale de Moussa. Il se sent blessé et a peur de comprendre les propos de Thibault : « Léo ? Il est plus fiable que moi parce qu’il est Blanc, c’est ça ? Sale con, vas ! » Submergé par sa colère aveugle et excessive, il fait mine de se ruer sur le capitaine de l’équipe pour le rouer de coups de pied. Sa victime a juste le temps de protéger sa tête. Heureusement, les coéquipiers de Moussa le retiennent avant qu’un coup n’atteigne le ventre ou le visage de leur capitaine. Les cris de ses amis lui parviennent comme à travers un long couloir cotonneux. Il tente de se libérer pendant une minute de la poigne de David, Mouloud et Léo qui le reculent et le maintiennent de toutes leurs forces. Il se sent toujours enclin à vouloir jouer des pieds sur son capitaine. Collé au mur par ses trois coéquipiers, il reprend ses esprits lentement. Il sent son cœur battre la chamade si fort qu’il semble vouloir sortir de sa poitrine ; progressivement, il desserre les poings et les dents.
Il réalise alors ce qui vient de produire comme éveillé après un cauchemar. Thibault se relève avec l’aide de Michel et de Guillaume, le gardien de but. Le capitaine semble très choqué par l’altercation et avoir très mal aux côtes qui ont heurté violemment le banc durant sa chute. Il pointe du doigt son joueur devenu fou de colère, tout en se tenant le flanc de l’autre main, et lui crie : « Moussa ! Je ne peux pas tolérer une telle brutalité ! Tu te plains de la violence raciste des supporters d’à côté et tu te permets de faire ça à ton chef d’équipe, ton ami depuis quoi ? 6 ans ? Si les autres n’avaient pas été là, jusqu’où tu serais allé ? Et tu oses me traiter, moi, de raciste ? Tu mélanges tout ! Moi, je suis capitaine d’équipe et je joue d’abord pour l’ensemble de mes joueurs. C’est mon rôle. Tu m’en veux ? OK. Dans ce cas, on en parle. Par contre, je ne peux pas tolérer que tu viennes me frapper et m’insulter ! Je te préviens, je vais faire un rapport sur ton compte au Comité de Discipline. Je ne te retiens pas ! » Il tourne le dos au joueur enfin calmé et se dirige vers les douches, soutenu par Michel.