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Moussa 14

Moussa va à la table de la grande sœur

Moussa et Mina ont toujours été très proches. Mina a 33 ans et est née en Guinée. Elle a vu disparaître un frère cadet de 4 ans de moins qu’elle et ne s’en est jamais vraiment remise. Son petit frère, Moussa, né en France deux ans après le départ de ses parents dans des conditions épouvantables, a toujours été pour elle un trésor qu’elle a chéri. Depuis la mort de leur père, l’an passé, ils sont encore plus complices et ils se retrouvent au moins une fois par semaine, notamment dans ce bar, afin de se raconter leurs belles joies, tous leurs petits riens ou leurs grands tracas. La jeune femme est aujourd’hui assistante dans un cabinet d’avocats. Sûre d’elle, intelligente, bardée de diplômes, elle est le type-même de la jeune femme noire d’origine africaine qui a réussi. Ce soir-là, elles et ses collègues viennent fêter une victoire du cabinet en faveur d’une dame âgée, membre des gilets jaunes, contre des actes de violences policières. En temps normal, même si le football ne l’intéresse guère, elle vient soutenir Moussa et son équipe lorsqu’il jour un match. Mais, ce soir-là, elle avait ses propres succès à fêter. La joyeuse bande d’avocats et leurs assistants s’installent et commandent leurs boissons. Mina espérait croiser son frère dans le lieu et était impatiente d’apprendre comment s’était déroulé son derby. Elle le regarde dans les yeux en lui demandant pourquoi aucun membre de son équipe ne l’accompagne, et elle comprend immédiatement que quelque chose s’est mal passée.


Elle insiste alors pour tout savoir. La mine de Moussa redevient sombre, ses sourcils se froncent, et elle voit ses dents grincer. Elle le connaît par cœur : quelque chose de grave est arrivé. Elle présente son frère à ses quelques collègues qui ne le connaissent pas encore, puis leur dit qu’elle les retrouvera après avoir qu’il lui aura raconté sa soirée. Elle le conduit à une petite table libre et l’engage à se confier. Moussa lui raconte alors tout dans le menu : depuis le début de sa journée plutôt sereine jusqu’à sa rencontre tumultueuse avec Libaire et Julien. Elle est catastrophée. Attentive, lorsqu’il raconte, c’est tout comme si elle vivait avec lui chaque épisode, avec compassion, avec amour, avec retenue aussi ou froncements de sourcils réprobateurs. Après ce long récit, alors qu’il lui tient les mains comme si sa vie en dépendait en lui faisant promettre qu’elle ne dira rien à leur mère de ses emportements, elle lui caresse la joue avec la tendresse que seule une sœur peut apporter. « Oh… Moumousss… Je suis tellement désolée que tu aies eu à vivre cela sur le terrain… Je me doute à quel point ça a pu être difficile. La haine se trouve vraiment partout. Mais pourquoi te mettre en colère contre David, Thibault ou même ces jeunes gens rencontrés dans le bus ? Tu te laisses emporter tellement vite… » Elle le regarde avec tendresse et il semble que tous les pardons du monde peuvent lui être accordés grâce à ce regard. Cela étant, elle continue en lui disant qu’elle décide de lui raconter quelque chose que même leur chère maman ne sait pas. « Juste après mon diplôme de droit, tu sais que j’ai postulé partout et que ça m’a pris du temps pour trouver une place. Depuis, j’ai changé deux fois d’ailleurs et, à présent, je me sens vraiment bien là où je travaille. Mais, je voudrais te parler du tout début de mes entretiens d’embauche. Il y a maintenant presque 6 ans, j’ai eu un entretien qui s’est très bien déroulé. J’ai eu droit à un second entretien, avec le grand patron du cabinet cette fois. Nous étions quatre à être sélectionnés. Deux hommes et deux femmes : la parité, tu vois le genre, il faut faire bonne figure, blablablaaaaaa…. Et puis, sans que je ne m’en rende vraiment compte au début, le patron a commencé à glisser plusieurs réflexions déplacées au milieu de ses questions d’ordre juridique comme « vous coiffez toujours vos cheveux comme ça ou c’est un style ethnique ? » ou encore “Attention à ne pas apporter de plats trop odorants durant vos pauses de midi si nous devons travailler au bureau. » Ce genre de choses qui m’ont paru de plus en plus embarrassantes. A la première question, j’ai été désarçonnée mais j’ai répondu avec le sourire. Ensuite, j’ai répondu de manière automatique tout en réfléchissant à la meilleure manière de faire. J’ai continué l’entretien, poliment, avec le sourire. A la fin, le patron m’a proposé le poste. Toujours très poliment et avec le sourire, j’ai finalement refusé en disant que j’avais eu une meilleure offre que la sienne d’un autre cabinet d’avocats. Tu comprends bien que je ne pouvais accepter de travailler pour quelqu’un gonflé de préjugés comme cet individu. C’était un cabinet réputé pourtant… mais il fallait que je puisse me regarder en face et que mon travail ne finisse par devenir un calvaire sous l’effet d’un harcèlement racial latent. » Moussa l’interrompt en lui disant qu’elle a bien fait et qu’il ne sait pas s’il aurait pu se retenir de lui envoyer dans la gueule, qu’un salopard ne devrait pas être avocat. Mina reprend : « Voilà… tu vois, tu recommences avec ton réflexe d’agressivité. Si j’avais réagi comme tu le dis, ou comme toi avec ton équipe, quel aurait été le résultat pour moi ? J’aurais vidé mon sac mais, d’une part, je n’aurais pas réussi à changer sa mentalité, bien au contraire, d’autre part, il aurait pu me griller partout ailleurs en disant que j’étais une folle hystérique (parce que je te rappelle, qu’en plus, je suis une femme). Cela étant, en restant posée et polie, et en refusant la place – alors que j’en avais besoin, de ce travail !!! -, c’est moi qui ai eu le dernier mot. Cette expérience m’a profondément blessée, et, tu penses bien que ce n’est pas la seule chose qui a pu m’arriver dans le genre…, mais elle m’a aussi donné de l’expérience et m’a permis de trouver une bonne manière de me faire entendre. Depuis, j’ai trouvé un super poste, je travaille dans un cabinet aux cas choisis avec éthique et j’ai plein d’amis. A ta place, je rappellerais rapidement mes coéquipiers pour avoir une bonne discussion avec eux et leur expliquer ton malaise. Et, tu vois, quand tu dis que tu as hésité à quitter le match en manière de protestation contre les injures du public, je pense que tu avais eu là une bonne idée : communication non agressive mais geste fort. Par contre, ensuite, il aurait fallu assumer, et faire de ta révolte un cheval de bataille, pas une bouderie hargneuse. »

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scénario par

Evan, Sanaé, Kawtar, Dylan, Sarah, Sila, Ismaël, Joey, Marta, Arthur, Pauline, Paris, Méline, Zyad, Amina, Virgil, Tyron, Emeline, Sarah, Séléna, Benjamin

avec le soutien de

du président de la LICRA Nancy Armand WROBEL et de la professeure de Français du collège de la Croix de Metz Clémence RICHARD.

Mise en texte

Apolline Marie HUIN

illustrations

Louis MARIAGE

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