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Juliette 5

Il manque des affaires à Juliette pour parfaire son emménagement : sa fille lui propose d’aller faire les boutiques.

Juliette sort de sa poche la liste des achats qu’elle compte effectuer en compagnie de sa fille. Pour ne pas trop la fatiguer à arpenter les rues, Charlotte lui propose de se rendre dans le centre commercial du centre-ville. Ainsi, toutes les emplettes pourront être effectuées dans un même espace ce qui aura l’avantage d’avoir moins de distance à parcourir. Les trottoirs du centre-ville sont par ailleurs parfois étroits ou sales, les rues piétonnes souvent pavées : dans ce contexte, le rollator de Juliette peut avoir du mal à circuler sans heurt. En outre, le salon de coiffure de Damien se situe à proximité de la galerie marchande. Elles se décident donc pour la galerie marchande.


La mère et la fille décide de se rendre chez Damien en premier lieu car Juliette tient plus que tout à sa mise en plis impeccable. Cette coquetterie fait d’elle ce qu’elle est et souhaite rester : une femme apprêtée et prenant soin d’elle. « Ce n’est pas parce que je suis obligée de me déplacer avec ce fichu Dédé que je dois me laisser aller : mon Edmond n’aurait pas aimé cela et, après tout, je ne parais pas si âgée que cela… si on fait abstraction de ce truc à roulettes qui m’aide à tenir debout évidemment. » Avec un clin d’œil malicieux à sa fille, elle pénètre dans le salon de coiffure de son air le plus distingué. Damien l’accueille avec son large sourire et sa bienveillance naturelle. Afin de faciliter les choses pour Charlotte comme pour sa cliente, il lui propose de venir la coiffer à domicile, au sein de l’EHPAD. Il lui explique qu’il offre ce genre de prestations à des personnes en difficultés … ou à ses clientes favorites bien sûr. Juliette est ravie. Elle lui accorde son plus beau sourire pour le remercier et convenir d’un rendez-vous. Charlotte fait déjà tant pour elle, si cela peut permettre de la soulager un peu en lui évitant des trajets supplémentaires pour la véhiculer jusqu’au salon de coiffure, cette solution est donc idéale pour tout le monde. « Par ailleurs, » pense-t-elle, « si cela peut m’éviter, à moi, de me hisser tant mal que bien dans le char ou de me laisser tomber dans le clapier à roulettes au risque de me briser le col du fémur, c’est aussi bien. Héhé ! » La journée commence fort bien se réjouit-elle.


Les deux femmes prennent ensuite le chemin du centre commercial dans lequel elles pourront dénicher livres, linge de maison, soin et autres articles dont Juliette a besoin. Malheureusement, le samedi, les rues tout comme la galerie commerciale sont encombrées par des passants nombreux souvent sans aucun égard pour les petites dames se déplaçant avec cadre de marche. Devant les portes coulissantes de la galerie marchande, Juliette se fait d’ailleurs bousculer par un groupe d’adolescentes riant aux éclats. Celles-ci la dépassent sans même se retourner pour s’excuser. Juliette se retient à Dédé et à Charlotte, manquant de tomber. Elle fulmine tout en se sentant un peu étourdie. « Outch ! Oh les petites pestes ! Les mal élevées ! Oh… j’ai failli me casser la binette, tu as vu, ma Chacha ?! »


Préférant d’ordinaire n’effectuer que peu d’achats à la fois dans les boutiques intimistes du centre-ville, elle est interloquée par les changements du centre commercial qu’elle n’avait pas visité depuis quelques années déjà : il s’est agrandi considérablement, de quoi donner le tournis ; des lieux de restauration attirent les promeneurs qui s’y arrêtent en gênant le passage avec indifférence. Et qu’est-donc que cette musique trop forte de bien piètre qualité qui tonitrue dans les allées ? Juliette ne s’attendait pas à cela. Les allées se ressemblent toutes ; la presse[1]l’empêche de se repérer correctement dans l’espace. Elle est poussée, heurtée, bousculée et craint de perdre sa fille de vue. Charlotte tente de la rassurer en l’attirant un peu à l’écart afin qu’elle puisse reprendre ses esprits. « Mais quel manque de correction ! A quoi pensent donc tous ces gens ?! Je sais bien que je suis petite, encombrante et lente avec ce machin à roulettes mais je ne suis pas invisible tout de même. » Juliette se concentre afin de retrouver l’assurance et l’air digne qui la caractérisent. Elle s’auto-persuade en pensant que, si elle n’avait pas eu peur dans les rues de Rio de Janeiro durant le carnaval, même lorsqu’elle avait été séparée d’Edmond par la foule, elle ne s’effrayerait pas dans un centre commercial. Reprenant son souffle, elle réajuste sa veste puis indique à sa fille qu’elle aperçoit une librairie dans l’allée dans laquelle elles se sont réfugiées. La boutique n’attire pas autant de monde que les magasins de vêtements ou d’autres articles qu’elle ne saurait même pas définir. Elle se sent bien loin de son charmant village dans lequel tout le monde se connaissait, se saluait et faisait preuve de politesse. Sa petite boulangerie-épicerie était bien plus hospitalière que cette grande surface impersonnelle et bruyante.


Carrant ses frêles épaules, elle remet en ordre ses cheveux d’un petit geste élégant qui paraît soudain d’un autre temps au milieu de cette cohue hétéroclite. Charlotte sourit à sa mère d’un air encourageant et l’engage à se diriger vers la librairie. Tout en se frayant un passage, elles tentent de reprendre leur conversation et se font part de leurs réflexions sur le temps qui passe décidément bien trop vite, et les choses qui évoluent à un rythme effréné sans laisser la place à l’humain et à la simplicité.


A la librairie, Juliette commande le livre sur les plantes qu’elle désirait acquérir puis choisit quelques romans et recueils de nouvelles que Germaine lui avait conseillés. Elle range les ouvrages très soigneusement, pour ne pas corner les pages, à l’abri dans le panier de Dédé. Si cet engin lui déplaît car il l’oblige à reconnaître le handicap dû à son âge, il a tout de même quelques côtés pratiques. Charlotte lui demande ce qu’elle souhaite acheter ensuite tout en regardant le plan du centre commercial. Un magasin de linge de maison ainsi qu’une échoppe proposant des produits de soins naturels ne sont pas très loin de l’endroit où elles se trouvent. Les serviettes de toilette bleues faisant manifestement partie des priorités de sa mère, elles se décident pour « Linge & Maison. » Il leur faut cependant traverser une allée puis la longer jusqu’à un croisement. Tout se complique alors rapidement à nouveau : un homme de stature imposante, parlant fort dans un téléphone portable démesuré, heurte le déambulateur au point de détacher à moitié son petit panier et d’en renverser le précieux contenu. Il ose de surcroît se tourner vers les deux femmes pour les insulter de « vieilles chouettes » et d’autres noms d’oiseaux bien moins courtois. Son air patibulaire et vindicatif freine Charlotte qui s’apprêtait à lui répondre tandis que Juliette reste atterrée, sans voix. Ses livres sont tombés et les passants semblent prêts à les piétiner, ne s’écartant qu’au dernier moment, sans même un regard pour Charlotte. Celle-ci, agenouillée, tente de les ramasser sans se faire marcher sur les doigts. Contre tout attente dans cette jungle urbaine dénuée d’altruisme, une jeune fille s’arrête pour les aider à fixer à nouveau le petit panier sur l’armature de Dédé décidément bien malmené aujourd’hui. Cet acte de gentillesse inespéré redonne le sourire aux deux femmes qui remercient l’adolescente chaleureusement. Cela étant, toute cette agitation commence à oppresser la vieille dame habituée au calme de la campagne et aux bonnes manières. Celle-ci regrette un peu de ne pas avoir choisi les trottoirs étroits et pavés du centre-ville pour effectuer ses achats. Malgré tout, elle ne souhaite pas renoncer à ce moment partagé avec sa fille ni ne veut prendre le risque de la mortifier en se montrant trop vulnérable.


Sa liste de courses, écrite de sa belle écriture déliée, est toute froissée au creux de sa main tant elle l’a serrée sous l’effet de la surprise et de la frayeur. Depuis quand est-elle devenue si peureuse et impressionnable ? Depuis qu’Edmond est décédé peut-être ? Ou cela date-t-il d’avant, de la période où ils avaient cessé de voyager pour se nicher au coin du la cheminée de leur jolie maison en s’adonnant à des plaisirs simples ? C’était déjà l’âge qui les avait fait changer ; cette idée lui est insupportable au milieu de cet antre de la consommation démesurée, perdue au milieu du bruit et de la foule. Heureusement, sa Chacha est toujours à ses côtés, attentionnée et attentive. Cette dernière remarque la gêne de sa mère et lui demande si elle est déterminée à continuer ses achats ou si elle préfère rentrer.


[1]Presse : terme littéraire pour « foule »

Choix 1

Juliette décide de continuer ses achats envers et contre tout.

Choix 2

Juliette se sent trop oppressée et demande à rentrer à l’EHPAD

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