Charlie 9
Elle se ravise, rentre à l’hôtel et se réfugie dans les sucreries.


Charlie se lève et suit ses amies jusqu’au bord de l’eau. Avec de petits cris, ses amies entrent dans l’eau fraiche. Les adolescents s’éclaboussent, se poussent dans les vagues, d’autres jouent au volley sur le sable… Charlie reste figée. Tout autour d’elle est trop vivant, ses camarades trop sportifs, ses amies trop fines et jolies… Elle, elle se sent posée là, telle une otarie entourée d’oiseaux légers, encombrée d’elle-même, de ses bourrelets, de son ventre, de ses seins déjà lourds. Il lui devient impossible de rejoindre les Siamoises qui s’ébrouent dans l’écume et cherchent des coquillages. Comment se pencher pour ramasser de petits trésors sans montrer ses fesses imposantes et faire pendre ce ventre qu’elle déteste tant ? Sans avoir la force de prévenir ses camarades, elle retourne s’asseoir sur sa serviette et remet son t-shirt avec soulagement. Dans son sac de plage, elle a pris son cahier de dessin et ses écouteurs pour s’isoler comme elle en a pris l’habitude au sein de son foyer lorsque Jennifer et sa mère parlent de vêtements et de concours de beauté. Elle essaye de trouver quoi dessiner : elle adore réaliser des portraits et se prend à observer le profil de Nathou qui se dore au soleil, lunettes de soleil sur le bout du nez, foulard à pois dans ses cheveux bouclés toujours impeccablement coiffés.
« Mais comment fait-elle pour que même le vent ne parvienne pas à l’ébouriffer ??? Il est de ces personnes qui, même au milieu d’une tornade peuvent être magnifiques… » pense-t-elle en commençant à la croquer. Mais la beauté de sa voisine de chambre lui rappelle son physique, « disgracieux ; » « gras, » « informe »… Les mots de sa mère tournent en boucle dans sa tête et elle ne se rend pas compte tout de suite qu’Eléonore et Camille sont venues la retrouver et lui parlent. Les gentilles Siamoises tentent de la faire venir dans l’eau avec elles. Elles lui assurent qu’elle le regrettera si elle ne vient pas, que l’eau est délicieuse… « C’est surtout une bonne glace qui serait délicieuse » ne peut-elle s’empêcher de penser à part elle. Cette pensée la rend honteuse tout en lui donnant une envie incoercible d’aller en acheter une au marchand ambulant qui arpente la plage. Elle engage ses amies à aller s’amuser et à la laisser seule en les assurant que tout va bien mais qu’elle se sent plus à l’aise ainsi. Éléonore puis Camille reviennent à la charge plusieurs fois, attristées que Charlie reste seule ainsi. Malheureusement, plus ses copines de classe insistent, plus elle se sent mal à l’aise car l’envie d’aller s’amuser avec elles se fait lourde de regrets.
L’enseignante de français, visiblement fatiguée et peut-être un peu agacée par le remue-ménage, les cris et les bousculades du groupe, lance un appel pour celles et ceux qui souhaiteraient rentrer à l’hôtel en avance. Un élève qui s’est tordu la cheville et Pauline, la fille la plus brillante de la classe, le nez toujours fourré dans les livres, se lèvent et préparent leurs affaires pour rentrer avec la professeure. Charlie n’attendait que cela ! Elle rassemble ses affaires et se met en marche avec le petit groupe pour retourner dans l’intimité de sa chambre. Sur le chemin du retour, elle se morigène en se reprochant son manque de courage. Elle craint également que ses nouvelles amies ne lui en veuillent d’être partie sans prévenir. Elle a tellement l’habitude d’être laissée de côté, d’être de trop, qu’elle a du mal à imaginer qu’Eléonore et Camille aient remarqué son départ… Tout à la fois, elle avait l’impression qu’on ne voyait qu’elle plantée telle le Colosse de Rhodes au milieu de la plage ou, moins glamour, telle une baleine échouée lamentablement sur le sable. Il lui faut vite retrouver sa chambre et ses affaires, s’isoler avec ses écouteurs, son cahier de dessin et… ses gourmandises cachées dans son sac à dos.
A peine rentrée dans sa chambre d’hôtel, Charlie enlève son terrible et honni maillot de bain. Dans la salle de bain, elle suspend le juste-au-corps devant elle pour en saisir l’ampleur. Puis, dans le miroir de l’armoire, elle aperçoit son corps au ventre proéminent, à la poitrine déjà opulente, aux cuisses massives. Elle détourne les yeux qui la brûlent de larmes de frustration, de honte et de révolte et s’empare rapidement de l’une de ses tenues si larges qu’elles en deviennent informes. Assise par terre, au pied de son lit, elle ouvre son sac à dos et en sort méthodiquement tous les sachets de confiseries et paquets de gâteaux qu’elle a emportés. Elle les regarde, les touche du bout des doigts et choisit. Lorsque le spleen s’empare ainsi de son cœur, c’est toujours le chocolat qui a sa préférence. Elle ouvre le paquet de cookies aux pépites de chocolat et en croque un d’abord du bout des lèvres. Bientôt le paquet est terminé. Elle ne s’est même pas rendu compte qu’elle avait ouvert le sachet de sucreries suivant. Lorsqu’elle a un gros vague à l’âme, elle a un gros appétit. Mais, après tout, n’a-t-elle pas toujours été la grosse de la famille ? La grosse de la classe ? La grasse grosse mappemonde à la circonférence honteuse ? Elle pleure de manger mais ne peut pas se retenir. Elle se sent destinée à cela, frappée de la fatalité familiale de n’être pas celle qui était désirée… Elle ressent la même chose dans sa classe. Elle reste la grosse. Celle qui prend trop de place. Elle dévore ses biscuits et bonbons pour se dévorer elle-même… mais tout en engloutissant ces délices détestés, elle sait bien que, fatalement, elle prendra encore plus de cette place que personne ne veut lui laisser.
scénario par
Tristan, Perrine, Pauline, Charlotte, Maëlle, Louna, Justine
avec le soutien de
la documentaliste du collège Jacques Gruber Maya YASRI.
mise en texte
Apolline Marie HUIN
illustrations
Benjamin BERTHOLIN