Charlie 5
Elle décide de porter un grand t-shirt par-dessus son maillot de bain


Le réveil annonce la journée plage. Charlie se retourne dans son lit en essayant de repousser de ses pensées la hantise du maillot de bain tandis que Nathalie s’éveille, déjà belle et fraiche comme une rose. La jolie fille s’étire, saute du lit, annonce qu’elle va prendre sa douche en promettant de laisser de l’eau chaude et file dans la salle de bain. Charlie se redresse péniblement. Elle pressent cette journée très longue et difficile à vivre. Après quelques minutes, Nathalie sort de la salle de bain, une serviette courte autour du corps, une autre sur la tête pour sécher ses cheveux. « Je t’ai laissé la serviette la plus grande : elle est suspendue près de la douche. » Cette attention heurte Charlie de plein fouet. Elle reconnaît cruellement en son for intérieur : « un bout de tissu aussi petit que celui qu’elle porte ne pourrait sécher que l’une de mes grosses cuisses… » Cependant, elle est incapable de reconnaître si cette sollicitude est dénuée de mesquinerie. Nathalie a-t-elle voulu rappeler à sa compagne de chambre combien elle est volumineuse ? Charlie bredouille un vague merci avant d’aller s’enfermer dans la salle d’eau. Elle emporte bien sûr ses vêtements afin de pouvoir s’habiller à l’abri des regards de Nathou. Elle ne veut surtout pas que celle-ci la voie se tortiller avec difficulté pour entrer dans son maillot de bain. A travers la porte, elle l’entend chantonner en s’habillant. Cette bonne humeur la rend d’autant plus maussade alors qu’elle peine à enfiler son maillot. Celui-ci a été choisi évidemment en modèle une pièce, noir bien sûr, le décolleté le plus haut possible, en mode shorty sur les cuisses, dans une matière relativement épaisse. A peine enfilé, le juste-au-corps commence déjà à remonter le long de ses cuisses et à s’étirer sur sa forte poitrine qu’elle peine d’ordinaire à camoufler. La journée sera définitivement très longue et difficile.
Enfin recouverte de son habituel t-shirt noir et de son jean ultra large, elle sort de l’intimité de la salle de bain afin de rejoindre sa colocataire et de se rendre à la salle du petit déjeuner. Nathalie est superbe, évidemment. Elle lui sourit en disant qu’on les attend au rez-de-chaussée. Elle ajoute qu’elle a une « faim de louve ! » Encore une fois, Charlie est troublée et ne parvient pas à comprendre si cette expression est destinée à la mettre mal à l’aise ou si, tout simplement, sa camarade a vraiment très faim. Dans le doute, elle choisit de ne rien répondre et de suivre la belle adolescente jusqu’au lieu du premier repas de la journée.
Elle aussi, elle a faim. Vraiment faim. Ou pas vraiment. Elle a surtout l’habitude d’avoir faim. Elle a faim en cas de stress, de contrariété, d’angoisse. Or, ce matin, comme presque chaque jour, elle est stressée, contrariée et angoissée. Elle ressent une furieuse envie de manger tout ce que propose le buffet du petit déjeuner. Se comparer à sa voisine de chambre est un supplice et, comme lorsque Jennifer se pavane devant elle, son premier réflexe est de se jeter sur la nourriture. Toutefois, elle n’est pas seule : il lui faut faire bonne figure, se maîtriser pour éviter de provoquer des railleries sur son appétit. De plus, elle sait qu’Éléonore et Camille l’attendent et qu’elles se montrent sincèrement amicales à son égard. Elle ne prend donc qu’un petit pain avec de la confiture et un chocolat chaud tout en essayant de se détendre dans l’ambiance tumultueuse : tous les adolescents sont surexcités. L’enseignante de français ne cesse d’exhorter au calme alors que le professeur d’Histoire plaisante avec les élèves. Le professeur de grec, toujours discret malgré une taille impressionnante, sourit devant les facéties de certains de ses élèves tout en sirotant un café devant un volume de l’Odyssée (en grec ancien, bien entendu).
Après ce petit déjeuner survolté, la conférence de présentation du programme culturel prend fin plus tôt que prévu : le professeur d’Histoire prend sur lui d’écourter son discours malgré les froncements de sourcils véhéments de sa collègue de français. Les élèves ne sont pas attentifs et ne pourront pas l’être tant qu’ils n’auront pas pu se défouler après presque 24 heures de bus effectuées la veille. Le jeune professeur ne semble d’ailleurs pas très concentré lui non plus. Après un moment de quartier libre puis un déjeuner rapide, il est temps de se mettre en marche vers la plage et ses délices… ou ses supplices ! selon que l’on soit une Nathalie ou une Charlie. Cette dernière sent son maillot de bain remonter toujours plus haut sur ses cuisses et faire un pli sous ses fesses. Elle tente vainement de faire descendre le tissu récalcitrant à travers son jean mais rien n’y fait et ses gestes gauches ne peuvent qu’attirer l’attention sur elle. Avant même d’être parvenue à destination, elle se sent déjà mal à l’aise, saucissonnée dans son juste-au-corps, sous un soleil qui la fait transpirer à grosses gouttes.
Les Siamoises tentent de distraire leur nouvelle amie en décrivant tout ce qu’elles espèrent de cette journée et du reste du séjour. Les discussions tournent également autour des garçons de la classe, notamment du bel Antoine. Ah cet Antoine ! Métisse antillais, grand, élancé, musclé, la peau du visage vierge de tout furoncle ou autre point noir disgracieux, souriant et galant ! La coqueluche des filles de la classe, voire du lycée tout entier ! Charlie se prête au jeu de ces bavardages tout en grondant intérieurement : « Ce n’est pas un gros tas comme moi qui intéressera un jour un garçon comme Antoine… ou comme n’importe quel autre d’ailleurs. C’est facile d’envisager d’aller demander de « sortir avec » à un garçon quand on est mignonne… » Elle ravale ses amères pensées pendant qu’elles s’installent toutes les trois sur un coin de sable ombragé.
Très rapidement les Siamoises ôtent leurs vêtements -coordonnés en bleu aujourd’hui- et s’enduisent de crème solaire. Elles proposent à Charlie de lui en appliquer car le soleil peut être violent surtout sur les peaux claires. La jeune fille ne peut s’empêcher d’imaginer que si les deux amies le lui proposent, c’est qu’elles pensent qu’elle ne pourra pas le faire seule en raison de sa circonférence. Elle s’en veut immédiatement de leur prêter une telle mauvaise intention mais refuse poliment en disant qu’elle restera en t-shirt. Camille insiste un peu en lui disant qu’il serait dommage de ne pas profiter de la mer et de sa fraicheur. Malgré les arguments de ses camarades, Charlie ne veut pas ôter son vêtement qu’elle porte comme un rempart face au regard des autres. Assise sur sa serviette, elle regarde ses copines courir jusqu’à la mer et s’y plonger en riant. Tous les élèves de la classe s’amusent, s’éclaboussent, plaisantent… tous en maillot de bain… Même Mattéo, qui n’est pourtant pas un roi de beauté avec ses cheveux gras et ses multiples et rouges constellations sur le visage, lui semble bien fait comparé à elle. Le corps de ses camarades à la perfection toute relative (sauf peut-être celui d’Antoine…) la rend tout à la fois envieuse et timorée.
Perdue dans ses pensées tourmentées, elle ne s’aperçoit pas tout de suite que Ludivine, enfin remise du voyage en bus, vient lui demander si elle souhaite faire partie de son équipe de volley. Une partie s’improvise et les deux équipes cherchent des participants. Charlie hésite : le sport n’a jamais été son violon d’Ingres. Cela étant, Éléonore et Camille rejoignent Ludivine et la pressent de venir les aider : ce sera les filles contre les garçons ! Peut-être l’occasion de donner une bonne leçon à Mattéo et sa bande d’idiots ?! Charlie se laisse convaincre car elle commence à sentir des regards insistants se tourner vers elle. Entre Charybde et Scylla, elle choisit le volley. Malgré la chaleur, elle décide toutefois de rester en t-shirt. Elle ne veut pas dévoiler ses formes aux autres élèves : ses cuisses sont découvertes, c’est bien assez. Cela étant, elle constate que personne, pas même Mattéo, n’a fait de remarque sur son poids ou ses capacités à jouer et elle en est soulagée. Accompagnée de ses amies, elle se rend sur le terrain de jeu marqué par des lignes tracées dans le sable.
La partie commence : Charlie est au service. Grâce à sa corpulence, elle bénéficie d’une certaine puissance et son lancer est parfait. Ses camarades s’exclament avec joie, le ballon rebondit d’un poignet à l’autre, et le premier point est pour l’équipe des filles. Le jeu s’enchaîne avec entrain. Les rires fusent, le ballon se perd près de la professeure de français qui exhorte à nouveau à un peu de tenue, les services se succèdent, les points s’accumulent des deux côtés.
Au bout d’une petite vingtaine de minutes, Charlie commence à se sentir essoufflée. Elle a bien essayé de se maintenir dans la frénésie du jeu mais elle n’a pas l’habitude de courir ainsi. De plus, le sable la ralentit, son large t-shirt colle à sa peau et la gêne. La chaleur devient suffocante et elle commence à manquer d’air. Alors qu’Éléonore court rattraper le ballon encore une fois lancé près de l’enseignante de français, elle remarque que son amie a du mal à reprendre son souffle. Avec naturel, pour faire diversion sans attirer l’attention sur la détresse de sa ronde amie en souffrance, elle annonce au groupe qu’elle va cesser de jouer en raison de la trop forte chaleur et qu’elle souhaite aller profiter un peu de la fraicheur de l’eau. Camille est bien évidemment immédiatement d’accord avec elle et rejoint son double et Charlie. Les garçons râlent un peu et traitent les filles de mauvaises perdantes mais la bonne humeur reprend vite le dessus et les adolescents s’égaillent rapidement sur la plage et dans l’eau.
Éléonore imbibe rapidement une serviette d’eau fraiche pour la remettre discrètement à Charlie afin que celle-ci puisse se rafraîchir le visage et la nuque. Elle propose d’aller se reposer un peu sur leurs serviettes de plage pour bavarder tranquillement avant d’aller faire trempette. L’adolescente en surpoids est très reconnaissante du tact et de la discrétion de sa nouvelle amie qui a remarqué les signes d’un malaise imminent et a fait le nécessaire pour l’aider en toute discrétion. Installées toutes les trois à l’ombre, une bouteille d’eau partagée pour s’hydrater, Charlie reprend ses esprits et respire plus calmement. Elle retient ses larmes. Elle aurait tellement voulu être à la hauteur d’une simple partie de beach volley. Elle craint d’avoir déçu ses amies et de les avoir empêchées de s’amuser. Ludivine vient s’enquérir de son état car, elle aussi, a remarqué que sa volumineuse camarade avait changé de couleur durant la partie et semblait avoir du mal à respirer. Charlie assure aux trois amies que tout va bien, que c’est juste la chaleur qui lui a fait tourner la tête. Les larmes aux yeux, elle avoue ensuite qu’elle n’a évidemment pas l’endurance nécessaire pour ce genre de sport. Elle ajoute qu’elle s’en veut terriblement, qu’elle est désolée d’avoir été à l’origine de l’interruption du jeu et, pour finir, qu’elle est une « juste une grosse nulle qui ne sert à rien. » Les filles lui promettent que personne ne lui tient rigueur de quoi que ce soit et qu’elle peut d’ailleurs constater que tout le monde continue à s’amuser. Charlie regarde la plage et ses camarades : personne ne semble l’avoir jugée ni même avoir fait attention au fait qu’elle s’était retirée sur sa serviette. Déconcertée sans être totalement convaincue, elle aimerait vraiment croire qu’elle n’est pas le centre d’une attention malsaine. Au bout de quelques minutes, elle se laisse convaincre d’ôter son t-shirt trempé par l’effort.