Charlie 4
Elle s’oblige à se mettre en maillot de bain et à profiter de la mer


L’installation dans la chambre en compagnie de Nathalie se déroule dans un silence relatif ponctué de quelques demandes de l’une ou l’autre concernant le choix du lit, des étagères pour y ranger leurs vêtements et de l’heure du réveil. Nathalie a vite fait comprendre à sa camarade que partager une chambre le temps de la nuit était une chose, devenir copines en était une autre. Charlie l’observe sortir ses vêtements et affaires de toilette avec soin, ranger chacune de ses robes, de ses shorts, des foulards assortis à chacune de ses tenues. Noués autour de la tête à la façon des pin-up des années 40, ces accessoires font du look recherché de la jolie jeune fille ce que ses amies appellent « la Nath touch. » Le rouge est sa couleur favorite : elle ne craint pas d’être voyante, vue, admirée. Charlie se sent presque honteuse en empilant ses t-shirts sombres ultra larges et ses jeans ternes. Elle a emporté une belle robe violette, en tissu léger, en prévision de la soirée du voyage offerte aux élèves pour clôturer le séjour mais elle n’ose même pas la sortir de sa valise de peur que l’élégante Nathou se moque d’elle. Malgré ses appréhensions quant au programme du lendemain et son sentiment de dévalorisation face à sa jolie camarade, le voyage l’a tellement épuisée que Charlie passe une nuit réparatrice.
La matinée se déroule dans l’agitation et le tumulte. Quelques heures de sommeil ont suffi à redonner force, énergie et volume sonore à la troupe d’adolescents impatients de se prélasser sur la plage et de batifoler dans les vagues. Le programme culturel de la matinée est avantageusement écourté par le professeur d’Histoire indubitablement aussi désireux que ses élèves d’aller se détendre. Les choses sérieuses débuteront le lendemain avec la visite de deux sites archéologiques et d’un musée. Le jeune enseignant est parvenu à convaincre ses deux collègues qu’il serait profitable à tous de permettre aux jeunes de se défouler avant de s’engager dans le véritable but du voyage : la Culture. Pour sa part, Charlie préfèrerait amplement aborder directement le vif du sujet et passer l’après-midi dans un musée, le corps enveloppé dans une toile de tente, plutôt qu’en maillot de bain, sur une plage, au milieu d’une meute de jeunes de son âge. Cette seule idée lui rend les mains moites et l’empêche de s’intéresser aux bavardages de ses nouvelles amies.
L’heure fatidique du départ à la plage arrive. Elle ne peut plus reculer. Sous ses éternels t-shirt noir XXL et jean délavé, elle porte ce qu’elle hait peut-être plus encore que les mini jupes : son maillot de bain. Évidemment, elle l’a choisi en 1 pièce, noir, cachant le plus de peau possible, décolleté très haut, mode shorty sur les cuisses. Elle sent déjà le tissu remonter irrémédiablement vers le haut de ses cuisses. Son inconfort la rend distraite et tendue. En outre, en sortant de la salle de bain, avant d’aller prendre le petit déjeuner, elle avait pu voir Nathalie s’admirer dans le miroir de l’armoire de leur petite chambre en bikini rouge à poids blancs assorti de son foulard blanc à poids rouges pour retenir ses cheveux. La jeune fille est ravissante et semble en être parfaitement consciente. Charlie s’était alors sentie encore plus lourde et pataude que face à Jennifer.
Mais l’heure n’est pas à la tristesse et l’inquiétude ! Eléonore et Camille l’attendent de pied ferme, bien décidées à passer un après-midi agréable en en faisant profiter leur nouvelle copine de classe. Rassurée par la présence des Siamoises, Charlie se fait violence et se convainc, tant mal que bien, que s’être glissée dans le maillot infernal est une bonne chose.
La courte marche de l’hôtel à la plage lui semble, malgré le verbiage rieur de ses amies, un véritable chemin de croix : ses camarades, pressés d’arriver au bord de l’eau, marchent d’un pas empressé, bien trop rapide pour elle. En outre, il fait une chaleur torride et, alors qu’elle tente de tenir un rythme aussi alerte que possible, elle sent la transpiration couler dans son dos et le long de ses bras. Elle aimerait pouvoir disparaître, rentrer à l’hôtel, se cacher quelque part… mais, surtout, ne pas être Charlie sur le chemin de la plage prête à révéler son corps massif et ses bourrelets à la cantonade. La mer en vue, les élèves commencent à courir dans le sable et les galets afin de pouvoir installer leurs serviettes et offrir leur peau au soleil en se regroupant par affinité sous l’œil attentif quoique fatigué des professeurs. Les robes, pantalons et t-shirts tombent et s’empilent près des sacs de plage. Les filles s’étalent mutuellement de la crème de protection contre les coups de soleil alors que les garçons se poussent déjà dans les vagues.
Malgré la présence de ses amies, Charlie ne sent pas du tout à l’aise. Eléonore et Camille installent leurs serviettes assorties près de la sienne et enlèvent leurs robes tout en plaisantant sur l’air pincé de l’enseignante de français face au désordre ambiant. Remarquant que leur amie n’a encore enlevé ni son jean ni son t-shirt, elles la pressent de se mettre en tenue de bain afin de pouvoir aller prendre la température de l’eau avec elles. Avec réticence, Charlie s’assoit sur sa serviette, se tortille pour enlever son pantalon en essayant de ne pas se faire remarquer par le reste du groupe, puis, avec un soupir de martyre, retire son t-shirt. Instinctivement, elle serre les bras contre sa poitrine et baisse la tête. Éléonore lui donne un petit coup de coude en riant et lui demande pourquoi elle boude alors que l’eau fraiche n’attend qu’elles ! La jeune fille lui répond qu’elle a l’impression que tout le monde la regarde et se moque d’elle. Les larmes lui montent aux yeux et elle se saisit de son t-shirt dans l’espoir de le remettre promptement pour cacher son corps aux rondeurs moulées par le juste-au-corps. Camille éclate de rire : « Tout le monde te regarde ? Moi, j’ai plutôt l’impression que tout le monde regarde la mer… sauf peut-être Nathalie qui regarde Antoine ! Hihihi !!! Allez ! Viens donc te baigner avec nous !? Tu le regretteras si tu ne viens pas ! Allez !!! » La bonne humeur de ses camarades la rassure et même si la désagréable sensation d’être observée continue à l’obséder, elle doit bien admettre que personne ne la montre du doigt ni ne crie son nom pour attirer une attention désapprobatrice sur sa circonférence.