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Charlie 15

Charlie se rend à la soirée habillée comme à son habitude

Lorsque Nathalie sort de la salle de bain, enturbannée d’une petite serviette, Charlie lui annonce qu’elle en aura encore pour un moment : elle veut finir de ranger ses affaires, se laver de la fatigue du voyage avant de se changer et de rejoindre la bande d’amis. Nathalie lui dit alors de « se dépêêêêêcher !!! » tout en se glissant, avec une agaçante aisance, dans sa robe rouge taille 34. Elle se précipite ensuite sur son kit de maquillage en criant à Charlie qui s’enferme à double tour dans la salle d’eau : « Si tu veux utiliser mon make up, n’hésite pas ! Je pense que le rouge à lèvres, le tube doré, « soleil couchant », t’irait hyper bien ! » Charlie n’a jamais eu le droit de se maquiller : cela est réservé à son ainée. Jennifer a même été mise en beauté par des professionnels – des professionnels communaux, mais tout de même ! Leur mère a répété encore et encore à sa cadette qu’une fille comme elle devait se faire la plus discrète possible, en dépit de « son physique de mappemonde qu’on ne savait pas où mettre pour ne pas l’avoir dans les pattes. » Donc : jamais de robe, jamais de maquillage, jamais de couleur, rien qu’elle, et, elle, c’était déjà trop.


Perdue dans ses pensées de plus en plus lugubres, Charlie ne voit pas le temps passer. Nathalie frappe à la porte de la salle de bain et lui annonce que si elle n’a besoin de rien, elle va rejoindre Antoine et Émilie au rez-de-chaussée en attendant l’heure du dîner. Charlie arrête le robinet de la douche, sort péniblement de l’étroite cabine de douche, de profil, essayant de rentrer le ventre, et s’applique à essuyer la surface de son corps massif : celui-ci se plisse, s’arrondit, s’amollit, s’étire sous la serviette. S’essuyer après la douche… Au moins 10 bonnes minutes pour être totalement sèche ! Nathalie, elle, a eu besoin de s’enrouler dans une minuscule serviette pour être sèche et prête à s’habiller en deux minutes chrono. Si Charlie oublie de bien passer sa serviette sous ses seins déjà lourds, sous le pli de son ventre, derrière ses cuisses et ses genoux, de l’eau risque d’y rester sournoisement cachée pour, ensuite, s’épanouir en flaques sur ses vêtements. Comme il y a un dîner collectif ET une soirée, il lui faut penser à tout. Tout, ce sont aussi ces petits détails de la vie quotidienne qui rendent la vie compliquée quand on est gros.


Nathalie étant partie, Charlie se permet de sortir nue de la salle de bain. Elle ne sait pas encore quoi porter pour cette soirée improvisée. Heureusement, elle n’a pas eu le temps de bien voir sa compagne de chambre, sans doute merveilleusement bien apprêtée. Elle hésite à mettre sa jolie robe violette. Pourquoi pas, après tout ? Elle passe le tissu vaporeux aux reflets pourpres et réalise une chose horrible : la fermeture éclair se situe dans le dos ! Elle tente, en se contorsionnant, d’attraper le petit embout pour le tirer vers le haut. Avec peine, elle parvient à le saisir, et à le remonter de… 10 cm. Il lui est impossible de fermer sa robe sans aide. Bien sûr, elle pourrait appeler l’une des Siamoises… Mais si la raison de son appel vient à se savoir… Non, vraiment, Charlie n’est pas prête à subir la pitié ou les moqueries ce soir. En outre, en se regardant dans le miroir, elle trouve que dans cette robe, elle ressemble à une montgolfière en train de s’affaisser. Une horreur ! Elle enlève rageusement la jolie tenue, mais finit par l’accrocher dans la penderie avec soin. Peut-être qu’elle la portera en fin de séjour comme elle se l’était promis ?


L’heure tourne. Il faut qu’elle se presse. Face à l’urgence, la facilité. Elle se saisit de son jean favori, un peu moins terne que les autres, et de l’un de ses seuls t-shirts colorés, celui qui est orné du slogan « Keep calm and just be a princess ! » Prête à partir, elle se ravise : Nathalie l’a autorisée à utiliser son maquillage… Elle s’approche de la trousse débordante de fards, rouges à lèvres, eye liners et autres mascaras. Effleurant les produits de beauté, elle trouve le tube doré de rouge à lèvres « soleil couchant » conseillé par sa camarade. Elle peut toujours l’essayer puisqu’elle est seule. Face au miroir, elle applique le beau rouge-orangé solaire sur ses lèvres, les pince et se sourit. Elle se sent ridicule… Toutefois, une petite voix inconnue monte en elle et lui souffle que ce sourire coloré lui va bien. Prise d’une envie subite de tester ce que Jennifer porte depuis ses 12 ans – un âge un peu jeune à son avis, mais les concours de beauté ont des exigences : elle sort le mascara de la trousse de maquillage et, appliquée, comme elle a pu observer sa mère et sa sœur le faire, elle allonge ses cils de noir. Or, parce qu’au milieu de mille défauts que le monde se plaît à mettre en lumière, se cachent mille et une qualités qui ne demandent qu’à être révélées, Charlie a des yeux bleus très clairs et de très longs cils naturellement recourbés. Le mascara la métamorphose : son regard resplendit et fait oublier ses joues rebondies.


Interloquée par l’image de cette inconnue maquillée que lui renvoie le miroir, son premier réflexe est de vouloir tout enlever le plus rapidement possible. Cela étant, cette inconnue n’est pas si mal… Elle se sent en adéquation avec le slogan de son t-shirt. En outre, elle a peur qu’en essayant de se démaquiller, elle ne parvienne qu’à étaler le noir et le « soleil couchant » sur son visage en perdant un temps qui commence à devenir précieux si elle ne veut pas rater le début du dîner. Respirant profondément, elle se décide à descendre pour rejoindre ses amies. Camille lui envoie d’ailleurs un SMS pour lui dire que les professeurs rassemblent tout le monde dans l’espace restaurant de l’hôtel pour le dîner. Il est trop tard pour revenir en arrière. Armée de son t-shirt de princesse et d’un sourire un peu forcé, elle part prendre l’ascenseur. Celui-ci s’ouvre sur son groupe d’amis qui l’attendent. Ludivine a réservé la grande table pour la petite assemblée et y est déjà installée en grande conversation avec Oscar, l’un des amis d’Antoine et Alexandre. Les Siamoises se précipitent vers leur amie, s’arrêtent devant elle, bloquant la porte de l’ascenseur qui tente vainement de se refermer. D’une seule voix, les deux amies s’exclament : « Whaaa !! Tu es trop belle comme ça !!! » Cela ne manque pas d’attirer l’attention des autres membres du groupe. Nathalie s’approche en souriant : « Ah ! Trop bien ! Je n’étais pas sûre que tu oserais te servir dans mon make up. Ça te va super bien : j’étais sûre que ce rouge à lèvres t’irait bien. Si tu veux, je te le donne. Ce n’est pas ma couleur, il te va mieux à toi qu’à moi. Hein, les filles ? » Éléonore acquiesce avec enthousiasme. Pour sa part, Camille dit à sa nouvelle amie qu’il faut ab-so-lu-ment qu’elle mette ses yeux en valeur ainsi tous-les-jours. » Elle ajoute : « Bon, les gars, c’est marqué sur son t-shirt, on a une princesse parmi nous : alors pas de bêtises ! » Sur ces paroles enjouées, la jeune fille attrape Charlie par le bras pour la conduire à leur table. Charlie se sent moitié flattée, moitié gênée par ces compliments dus à un simple coup de pinceau sur son visage. Elle a l’impression d’être grimée, n’ayant jamais eu l’occasion de « se faire belle, » et cela la met un peu mal à l’aise. Cependant, l’atmosphère étant à la fête, elle se laisse aller et finit par oublier qu’elle a osé aller à l’encontre des ordres de sa mère et s’est, pour la première fois, maquillée !


Le dîner se déroule dans la joie et la bonne humeur. Mattéo fait l’intéressant à la table d’à côté, avant d’être remis en place par la professeure de français. Celle-ci lui intime que, s’il ne calme pas, il ira directement se coucher sans profiter de la boum. Le garnement s’assagit immédiatement, se sachant surveillé par Madame Lacroix, qui le scrute d’un genre de regard de corneille qui aurait sans doute pu mettre fin à une guerre napoléonienne tant il est autoritaire. Une fois le dessert avalé très rapidement par une classe impatiente, ainsi que par Monsieur Martin arborant un air particulièrement satisfait et festif, tous les élèves se rassemblent pour suivre ce dernier. Ludivine est collée à Oscar qui la regarde avec une admiration digne des amoureux de la Comédie Humaine ; Nathalie, minuscule près d’Antoine, néanmoins sublime dans sa robe rouge moulante (désespérément de taille 34, même après le dîner), le visage encadré d’un foulard cramoisi à pois blancs, ne quitte pas l’athlète d’une semelle d’escarpins ; les Siamoises sont en grande conversation quant à l’après-midi plage du lendemain ; Mattéo lorgne Madame Lacroix qui décide enfin d’aller se coucher. Il est temps de rejoindre l’espace discothèque !


L’espace réduit, agrémenté de canapés le long des murs et de quelques tables basses, offre une petite piste de danse rapidement envahie par les adolescents… et Monsieur Martin, qui se déchaîne en mouvements disco quelque peu anachroniques en regard de la musique choisie par le DJ. Certaines jeunes filles non averties à l’avance par leurs camarades sont prestement remontées dans leur chambre pour se parer de leur tenue la plus sexy pour les unes, la plus confortable pour les autres. L’ensemble de la classe s’amuse dans le plus grand désordre avec bonne humeur. Charlie se sent, contre toute attente, plutôt à l’aise, entourée de ses amies, et se laisse entrainer sur la piste de danse. Elle ne peut se départir de l’idée que les autres la regardent et la jugent, mais l’atmosphère festive prend le dessus sur ses appréhensions. Nathalie, fait irruption au milieu du dancefloor, sa robe rouge et son foulard assorti la rendent encore plus resplendissante que d’ordinaire. Instinctivement, tout le monde se pousse pour la laisser passer et lui permettre d’être au centre de la piste. Antoine la rejoint bientôt, auréolé du même charisme. Une musique latino leur donne l’occasion de s’engager dans une salsa aussi complexe que sensuelle. « Et, en plus, il sait danser… », soupire Camille dans l’oreille de Charlie, qui pense « Et, en plus, elle sait danser… » Charlie se sent un peu misérable face à ce couple parfait. Afin de ne pas se focaliser sur eux, elle préfère aller siroter un Coca-Cola dans un canapé alors que ses copines continuent à se dandiner et à glousser, enchantées par la soirée. Après avoir épuisé son registre de rythmes latins, le DJ change de répertoire pour des slows.


Nathalie vient s’affaler près de Charlie : elle est en nage mais radieuse. Elle soupire en déclarant à sa voisine de chambre que cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas dansé ainsi. Puis, regardant sa camarade de haut en bas, elle lui demande : « Mais, tu ne m’avais pas dit que tu avais une robe de soirée ? Pourquoi tu ne l’as pas mise ? C’est dommage quand même ! Avec ce maquillage et une jolie tenue, je suis sûre que tu aurais pu te faire inviter à danser sans peine par les mecs… Tu sais comment ils sont : ils craquent plus facilement pour les filles féminines qui se mettent en valeur. » Charlie répond, d’un ton boudeur que sa camarade exaltée ne remarque pas, qu’elle n’a pas eu le temps de mettre sa robe, sans avouer qu’elle avait été incapable de remonter sa fermeture éclair, et que les garçons ne l’intéressent pas vraiment, en tout cas, ceux de la classe. « Ben j’trouve que c’est dommage ! J’espère que tu mettras ta robe à la petite fête de fin de séjour ! » Puis l’oreille happée par les premières notes d’une chanson : « Oh ! C’est Shakira ! Tu viens danser ? Moi, j’y retourne, j’adoooore ce titre ! »


La pauvre Charlie se sent encore plus misérable, engoncée dans le canapé trop moelleux qui semble l’avaler, au milieu de toute ses camarades apprêtées, dans son t -shirt de « princesse. » Elle pense : « Keep cool and just be a grosse vache, ouais… » Quelques biscuits apéritifs sont disposés sur les tables basses devant chaque assise. Instinctivement, parce qu’elle se sent à nouveau seule et à part, elle pioche dans le bol et commence à engouffrer les mini bretzels et autres cacahuètes dans sa bouche qui retient tant mal que bien sa voracité. Plus vite qu’elle ne l’aurait souhaité, le bol est vide. L’envie dévorante de manger se fait clairement sentir : pour pouvoir se donner une contenance, pour oublier les propos de Nathalie, pour ne pas regarder ses jolies amies, pour combler la solitude. L’envie incoercible de manger commence à la torturer. Elle est en colère contre sa compagne de chambre. Pourtant, ça commençait à bien se passer entre elles deux. Mais, bien sûr, ce n'était que pour mieux l’enfoncer à la première occasion. C’est alors que Mattéo se plante devant elle et dépose sur la table basse tous les bols de choses à grignoter qu’il a pu trouver. « Tiens ! Ca t’évitera de te lever pour aller en chercher ! Si tu veux, je vais te commander un sanglier ou deux, ça te fera un apéritif ! » Il s’abandonne à une hilarité grossière et ostentatoire.


Avec difficulté – ce qui contribue à la jubilation du mauvais plaisant – Charlie se redresse et, sans que rien ne puisse le laisser présager, elle pousse Mattéo de toutes ses forces. Celui-ci, surpris et interrompu dans ses simagrées pauvrement clownesques, se sent projeté au sol, ne parvient pas à se retenir ni à Kevin qui se recule lâchement, ni à la table qui reste inutilement basse, et s’écrase au sol. Les élèves proches de la scène ont juste assez de temps de se pousser et former un cercle autour du harceleur de la classe à présent vautré par terre, atterré – c’était le cas de le dire – par la situation. Il fixe Charlie, les yeux écarquillés : sa bouche s’ouvre et se ferme sans qu’aucun mot n'en puisse sortir. Il ressemble à une murène brutalement retirée de son environnement naturel, incapable de mordre. A son grand dam, un éclat de rire général explose. Monsieur Martin, stoppé net dans son imitation de John Travolta dans Pulp Fiction, se précipite pour voir la scène et demande d’un air consterné ce qui vient de se passer. Personne ne répond bien, les élèves étant bien trop occupés à se moquer de l’adolescent mesquin qui ne pense même pas à se relever. Charlie reste figée, elle finit par demander : « Ça va ? Tu t’es fait mal ? Je ne voulais pas… Enfin.. J’suis désolée… » Antoine intervient. Il ne veut pas que sa camarade ait de problème alors qu’il sait combien Mattéo peut être cruel avec elle. Il devine qu’il a dépassé les bornes de la décence et que sa victime s’est défendue. Il attrape le garnement pour le relever et informe Monsieur Martin avec une ferme conviction : « Il est tombé en faisant l’imbécile… Hein, Mattéo ? C’est bien ce qu’il s’est passé ? J’ai tout vu, mais il n’y a pas de mal. Mattéo ? C’est bien cela ? » L’arroseur bien arrosé répond en bafouillant qu’il a trébuché contre la table basse et qu’il est tombé. Le jeune professeur se laisse convaincre et le sermonne comme quoi il est souvent bien trop turbulent et qu’il doit faire attention sous peine de devoir regagner sa chambre avant la fin des festivités. Le groupe d’élèves finit par se détourner de la scène et retourne à ses jus de fruits, ses confidences, ses premiers baisers et ses rires. Antoine murmure quelque chose à l’oreille de Mattéo en le retenant fermement par le bras avant de le repousser vers son ami Kevin en les foudroyant du regard. Revenant vers Charlie, bouleversée, mais entourée des Siamoises et de Ludivine, il la rassure en lui disant que l’idiot n’a eu que ce qu’il méritait et que tout ira bien à présent. Le groupe d’amis tente de dérider leur copine de classe et l’incite à revenir danser avec eux.


Charlie refuse obstinément. Elle ne veut qu’une chose : se retrouver seule dans sa chambre, pleurer sans doute un bon coup, et aller ouvrir son paquet de cookies au chocolat à l’abri des regards. Nathalie, qui a rejoint Éléonore et Camille pour s’enquérir de l’esclandre qu’elle n’a aperçu que de loin, lui demande si elle souhaite qu’elle la raccompagne. Si la jolie jeune fille semble sincèrement inquiète, Charlie ne veut surtout pas de sa compagnie. Antoine se propose de la reconduire à sa chambre, juste pour s’assurer qu’elle ne rencontre pas malencontreusement Mattéo ou l’un de ses sbires. La mort dans l’âme et la désespérance au ventre, Charlie accepte. A contrecœur. Néanmoins, elle doit avouer que la présence de son beau et serviable camarade la rassure. Tous deux se dirigent donc vers l’ascenseur. Le jeune homme a la courtoisie de la laisser silencieuse, perdue dans ses pensées. Mais il est à ses côtés. Protecteur. Présent. Arrivés au premier étage, il l’accompagne jusqu’à la porte de sa chambre et lui demande si tout ira bien pour elle et s’il peut réellement la laisser seule. Il est interrompu par Madame Lacroix qui, loin d’être déjà endormie, rôde dans le couloir du premier étage pour veiller à la vertu de ses ouailles. « Antoine ? Qu’est-ce que vous faites là ? Vous ne comptez pas entrer dans la chambre de Charlie avec elle, j’espère ?! Nous avions été très clairs à ce sujet : pas de garçons à l’étage des filles ! Ni vice et versa !!! » Après s’être excusé de cette intrusion dans l’espace féminin, et assuré son enseignante de ses bonnes intentions, il doit laisser la ronde et malheureuse adolescente. Avant qu’elle ne disparaisse dans sa chambre, il se retourne lui disant qu’il ne faut pas qu’elle hésite à envoyer un SMS à Nathou ou l’une de ses copines si elle a besoin de quoi que ce soit.


Dans l’intimité de la chambre, Charlie se débarrasse de son t-shirt qu’elle juge ridicule, enveloppe son corps dans son pyjama gris dans lequel elle ne se sent pas grosse tant il est large et devenu informe avec le temps. Devant le miroir, elle essaye d’effacer avec férocité le maquillage qui souligne ses yeux. Elle ne parvient qu’à étaler le noir et à se donner l’air d’un panda dépressif. Renonçant à gommer les traces irrévocablement waterproof de la soirée, elle se réfugie sur son lit et ouvre son sac à dos rempli de gourmandises. Les cookies sont engloutis entre deux sanglots. Elle entame le paquet de biscuits fourrés au caramel lorsqu’elle entend la clef dans la serrure de la porte. Avec honte, elle cherche à cacher le paquet de gâteaux vide, les emballages de bonbons dans son sac qu’elle jette au sol, mais trop tard : Nathalie entre dans la pièce. Il ne manquait plus que cela !? Que Nathalie débarque et la voit en train de se bâfrer, des yeux cernés de noirs comme un raton-laveur boulimique ! Elle essaye de se cacher sous ses draps.


Sa jolie compagne de chambre s’approche du lit et s’assoit près d’elle. Elle soupire et lui pose la main sur le bras. « Écoute Charlie, je suis désolée. Je crois qu’encore une fois, je t’ai blessée tout l’heure. Je suis hyper maladroite, parfois. Et Mattéo qui en remet une couche avec ses conneries… » Charlie essaye de dégager son bras et lui marmonne que ça va, qu’elle veut juste rester toute seule et essayer de dormir. Apercevant le sac à dos ouvert duquel des emballages de biscuits se déversent, puis les miettes sur le lit qu’elle époussette machinalement, Nathalie lui répond : « Non, je ne pense pas que tu veuilles rester seule. Je pense que tu as besoin de parler. Mais, tu sais, c’est difficile de communiquer avec toi : tu ne dis rien sur toi, tu te mets à l’écart, tu te braques super vite, et te fermes comme une huître dès qu’on t’adresse la parole. Donc, voilà, moi, en tout cas, moi, je voudrais te dire un truc. Je n’en parle presque jamais… Tout à l’heure, quand je t’ai dit que je prenais le lit du haut et qu’on s’est un peu frittées… Tu m’as dit que je ne pouvais pas te comprendre, que j’avais une vie parfaite, et tout le reste… Et ben, tu vois, je n’ai pas du tout une vie parfaite : il m’est arrivé quelque chose de grave, il y a deux ans, et j’ai arrêté de manger. Si tu trouves que je suis mince, tu aurais dû voir à quoi je ressemblais ! J’ai dû réapprendre à manger. Quand je dis que je trouve que j’ai de grosses fesses ou que je me trouve boudinée dans une robe, c’est parce que, ben oui, je me trouve grosse parfois. Je sais que ce n’est pas vrai mais c’est ce que je ressens parce que, par rapport à l’année dernière, j’ai été obligée de prendre du poids. Pour pouvoir retrouver la santé et une vie normale. Et, je déteste mon corps si tu savais ! Pour plein de raisons. Alors, je pense que, face à toi, je suis très maladroite mais ce n’est pas volontaire. A part Emilie, personne n’est au courant dans le lycée de ce que je viens de te dire. Je fais la belle, comme ça, mais je reviens de loin. Voilà… je pensais qu’il fallait que je te le dise : tu n’es pas la seule à te sentir différente ou triste ou pffff… tu vois bien quoi... Si tu ne veux plus me parler, je comprendrai. » Elle se relève voyant que Charlie ne réagit pas. « Avant de partir, je voulais juste te dire aussi que, ce soir, maquillée comme tu l’étais, tu étais super jolie. Quand, je t’ai parlé de ta robe, comme une sotte apparemment, c’était pour te faire un compliment. Je dois bien admettre que c’était complètement raté. Enfin, voilà… Bon, ben… Je vais repartir… Sauf si tu veux que je reste. »


Charlie se retourne et essuie une larme, étalant encore un peu plus le noir autour de ses yeux. Les confidences de Nathalie la laissent sans voix. Elle qui pensait que cette magnifique jeune fille avait la vie parfaite dont elle rêvait ! Et qu’elle était l’archétype de la petite peste populaire ! En reniflant, elle demande à son amie « Tu n’aurais pas un mouchoir, s’il te plaît ? » Nathalie fouille dans son sac avant de se retourner et de lui tendre un mouchoir en papier. Elle la regarde se moucher et lui dit en s’esclaffant « Mais !? Tu ressembles à un raton-laveur ! Qu’est-ce que tu as fait ? Attends !!! » Elle court dans la salle de bain et revient avec un coton imbibé de démaquillant. Elle se rassoit près de Charlie et entreprend de lui essuyer les yeux, avec douceur, pour en laver le mascara qui macule les paupières et les joues de sa camarade. Entre deux passages de coton au produit parfumé à la rose, Charlie esquisse un sourire et lui dit « Plutôt un gros panda qu’un raton-laveur… » « Oh ! Les deux bestioles sont trop mignonnes de toute façon ! Alors si tu préfères être un p’tit panda, c’est toi qui décides ! Moi, perso, je crois que je préfère encore les tanukis : tu sais, les moitié-raton-laveurs, moitié-blaireaux japonais, comme dans l’anime Pompoko ? Tu ne connais pas ?! C’est génial : je te filerai un lien, il faut absolument que tu voies ça ! Hummm… Voilà… Tu es démaquillée. Il faut que tu utilises le flacon rose près du robinet de la salle de bain si jamais tu veux te débarrasser du maquillage. A moins que ce ne soit un nouveau style ? Tu imagines si on descendait toutes les deux, demain matin, pour le p’tit déj, avec un maquillage de pandanuki !? » Le verbiage de la Nathalie et la douceur dont elle fait preuve avec elle finissent par détendre Charlie qui sourit à l’évocation de cette plaisanterie.


Sérieuse à nouveau, Charlie retient Nathalie qui s’apprête à la laisser à son silence et ressent l’envie de se confier à son tour : « Je ne savais pas pour tes troubles alimentaires… Je suis désolée… Mais tu es tellement belle ! Tout le monde t’admire. A côté de toi, je me sens encore plus grosse et moche… Tu es encore plus belle que ma sœur. Mais en plus intelligente. Hihi ! Mais c’est encore plus agaçant ! » Elle sourit pour faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’une critique mais d’un ressenti teinté de dérision. « Ma mère m’a toujours dit que j’étais grosse, que j’étais un accident, et que c’était à cause de moi que mon père était parti. Quand ça ne va pas, je ne peux pas m’empêcher de me jeter sur le chocolat et les gâteaux. Je sais bien que ça me fait du mal et qu’ensuite je me sens encore plus balourde. J’aimerais bien changer mais je ne sais pas comment faire. Dès que je me sens mal, c’est plus fort que moi… J’en ai marre… Je voudrais juste me sentir bien… Comme tout le monde… » Charlie se met à pleurer à gros sanglots. Nathalie sort son paquet de mouchoirs pour le tendre à sa camarade et lui caresse le bras. « Écoute, moi, j’ai pu me sortir de mon anorexie grâce à un super docteur, un psy, mais trop bien. Ce n’est pas en disant « mange ! » ou « arrête de manger ! » que les choses peuvent s’arranger. Si tu veux, je te donnerai les coordonnées de mon psy. Et puis, j’ai entendu parler, sur la radio culturelle qu’écoute ma tante… elle écoute toujours des émissions sur des témoignages de personnes en difficulté, c’est son truc, elle a toujours été dans l’humanitaire, … Enfin bref : j’ai entendu une émission qui parlait d’un lycée pour des adolescents avec des problèmes alimentaires. Il y a bien sûr un nutritionniste, un médecin (mais pas des sales cons qui n’écoutent rien, hein, de vrais docteurs plutôt cools), des profs et tout le bazar, mais, surtout, c’est destiné à rendre les élèves épanouis. Le but, ce n’est pas de « prendre ou de perdre 5 kg par jour » mais de parvenir à se sentir bien et à trouver de super projets de vie. Si je n’avais pas réussi à manger à nouveau normalement l’année dernière (ou presque, hein… parce que, dès que je stresse, c’est fini : plus RIEN ne passe… Comme tu disais : une princesse hermétique mais de haut en bas ! Hihi !), ma tante m’aurait inscrite là-bas. En ayant écouté les interviews des élèves, j’étais d’accord pour y aller, même comme interne. Peut-être que ça pourrait t’aider parce qu’en plus, ça n’a pas l’air d’être la joie chez toi… Après, tu sais, on peut s’entraider ici déjà, et, si je te sors encore des trucs débiles, ben… dis-le-moi et ça me clouera le bec : ça te fera du bien et moi je ferai plus attention. Qu’est-ce que tu en penses ? »

Choix 1

Vous voulez poursuivre l'histoire? Ou en discuter?

Choix 2

Vous voulez vivre une autre histoire?

scénario par

Tristan, Perrine, Pauline, Charlotte, Maëlle, Louna, Justine

avec le soutien de

la documentaliste du collège Jacques Gruber Maya YASRI.

mise en texte

Apolline Marie HUIN

illustrations

Benjamin BERTHOLIN

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